En ces jours-là, parce que Moïse avait épousé une femme éthiopienne, sa sœur Miryam et son frère Aaron se mirent à le critiquer.
Ils disaient : « Le Seigneur parle-t-il uniquement par Moïse ? Ne parle-t-il pas aussi par nous ? » Le Seigneur entendit.
– Or, Moïse était très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté.
Soudain, le Seigneur dit à Moïse, à Aaron et à Miryam : « Sortez tous les trois pour aller à la tente de la Rencontre. » Ils sortirent tous les trois.
Le Seigneur descendit dans la colonne de nuée et s’arrêta à l’entrée de la Tente. Il appela Aaron et Miryam ; tous deux s’avancèrent, et il leur dit :
« Écoutez bien mes paroles : Quand il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je me fais connaître à lui dans une vision, je lui parle dans un songe.
Il n’en est pas ainsi pour mon serviteur Moïse, lui qui, dans toute ma maison, est digne de confiance :
c’est de vive voix que je lui parle, dans une vision claire et non pas en énigmes ; ce qu’il regarde, c’est la forme même du Seigneur. Pourquoi avez-vous osé critiquer mon serviteur Moïse ? »
La colère du Seigneur s’enflamma contre eux, puis il s’en alla.
La nuée s’éloigna de la tente, et voici : Miryam était couverte d’une lèpre blanche comme de la neige. Aaron se tourna vers elle, et voici qu’elle était lépreuse.
Il dit alors à Moïse : « Je t’en supplie, mon seigneur, ne fais pas retomber sur nous ce péché que nous avons eu la folie de commettre.
Que Miryam ne soit pas comme l’enfant mort-né dont la chair est à demi rongée lorsqu’il sort du sein de sa mère ! »
Moïse cria vers le Seigneur : « Dieu, je t’en prie, guéris-la ! »
Nombres 12, 1-13
Textes liturgiques©AELF
Ah, ce que peut la jalousie spirituelle, ce véritable fléau qui saisit croyants et non-croyants !
Dieu a fait choix de Moïse pour révéler ses Volontés à son peuple élu. Et celui-ci n’a pas manqué de douter de la pertinence de son élection divine :
Moïse dit à Dieu : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon, et pour faire sortir d’Égypte les fils d’Israël ? » Exode 3, 11
Et bien que l’Eternel cherche à le rassurer sur son choix, Moïse argue encore :
«Mais voilà ! Ils ne me croiront pas ; ils n’écouteront pas ma voix. Ils diront : Le Seigneur ne t’est pas apparu !» Exode 4, 1
Dieu lui promet alors qu’il accomplira des signes, ce qui ne convainc ni ne rassure encore Moïse :
Moïse dit encore au Seigneur : « Pardon, mon Seigneur, mais moi, je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! » Le Seigneur lui dit : « Qui donc a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, le Seigneur ? Et maintenant, va. Je suis avec ta bouche et je te ferai savoir ce que tu devras dire. » Moïse répliqua : « Je t’en prie, mon Seigneur, envoie n’importe quel autre émissaire. » Exode 4, 10-13
Puis, Dieu s’étant mis en colère contre Moïse et lui ayant promis l’assistance de son frère le prêtre Aaron, plus éloquent que lui, Moïse finira par accepter sa mission et entrera en obéissance.
Ce petit rappel pour montrer qu’une vocation prophétique est à l’initiative de Dieu et non de la créature, et que c’est plutôt la réticence qu’elle suscite dans un premier temps chez l’élu, au contraire de la suffisance arrogante et conquérante des prophètes autoproclamés.
Moïse, réaliste, avait pleine conscience aussi de ses failles personnelles – son manque d’éloquence – et du fait qu’il serait très mal accueilli par ses contemporains. Là aussi nous avons un critère de discernement de l’authenticité d’une vocation prophétique : un prophète n’est jamais bien accueilli par ses proches, coreligionnaires et compatriotes. Observez-vous un prédicateur couvert d’éloges dans son église d’appartenance et sa contrée, il y a de très fortes chances qu’il n’annonce pas la Parole de Dieu dans sa vérité intrinsèque.
Bien au contraire, celui ou celle qui demeure pleinement fidèle à son Dieu, Verbe, Sagesse, Esprit, se voit couvert de suspicion, d’opprobre, d’insultes, d’accusations d’être du diable, de lynchage sous toutes ses formes. Que d’épreuves n’aura-t-il pas à endurer jusqu’à parvenir à en convaincre ne serait-ce que quelques-uns !
Jésus incarne ainsi parfaitement le Verbe de Dieu persécuté pour n’avoir annoncé que la Vérité : de Nazareth où ses compatriotes veulent le précipiter en bas d’un escarpement (Luc 4, 29) à la Croix, il n’aura connu que l’aigreur persécutrice des gardiens de sa religion désireux d’en finir avec lui. Seul le peuple des petits et des pauvres restera suspendu à ses lèvres, moyennant toutefois signes et guérisons que Dieu lui accordera de dispenser pour valider sa parole.
Nous le savons, les signes que Dieu avait accordés à Moïse n’ont pas convaincu Pharaon et ses magiciens. Il faudra la traversée de la mer à pied sec pour libérer les Hébreux de leur esclavage, avec pertes et fracas pour les Egyptiens.
Revenons-en à la première lecture du jour dans le Livre des Nombres : voici que le frère de Moïse, Aaron, et sa sœur Miryam mettent en doute le charisme de Moïse :
« Le Seigneur parle-t-il uniquement par Moïse ? Ne parle-t-il pas aussi par nous ? »
Eternelle tentation de la jalousie spirituelle qui saisit les frères et sœurs de sang, de religion ou de patrie d’un prophète authentique ! Le fameux “Par quelle autorité fais-tu cela ?” (Marc 11, 28) opposé à Jésus par les pharisiens rejoint la récrimination de la fratrie de Moïse, qui se prolonge par les reproches récurrents adressés de nos jours aux défenseurs de la vérité des révélations bibliques : “Pour qui te prends-tu ?”, “Tu as une ligne directe avec le ciel ?” (sarcastique),
“Nous sommes tous animés par l’Esprit Saint, en quel honneur comprendrais-tu les mystères divins mieux que nous ?”, “Attention à ne pas te prendre pour Dieu !”
Et je pourrais allonger la liste des remarques acrimonieuses indéfiniment.. Elle est d’autant plus longue que vous n’avez pas de “signes” à produire. L’humain est ainsi fait qu’il préfèrera de beaucoup tous les faux voyants et faux mystiques produisant des “miracles” pourtant douteux voire des prodiges du Mauvais ( des magiciens de Pharaon jusqu’aux “apparitions” sulfureuses de Medjugorje par exemple) aux prophètes de la Vérité s’avançant nus de signes et portant pour seuls trésor et gage d’authenticité toutes les souffrances qu’ils ont eues à endurer pour le Nom de leur Dieu…
Image : Moses holding up his arms during the battle, assisted by Aaron and Hur; John Everett Millais
La prophétesse Myriam Anselm Feuerbach (Staatliche Museen zu Berlin)