En entendant parler Jésus, un des convives lui dit : « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! »
Jésus lui dit : « Un homme donnait un grand dîner, et il avait invité beaucoup de monde.
À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : “Venez, tout est prêt.”
Mais ils se mirent tous, unanimement, à s’excuser. Le premier lui dit : “J’ai acheté un champ, et je suis obligé d’aller le voir ; je t’en prie, excuse-moi.”
Un autre dit : “J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je pars les essayer ; je t’en prie, excuse-moi.”
Un troisième dit : “Je viens de me marier, et c’est pourquoi je ne peux pas venir.”
De retour, le serviteur rapporta ces paroles à son maître. Alors, pris de colère, le maître de maison dit à son serviteur : “Dépêche-toi d’aller sur les places et dans les rues de la ville ; les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, amène-les ici.”
Le serviteur revint lui dire : “Maître, ce que tu as ordonné est exécuté, et il reste encore de la place.”
Le maître dit alors au serviteur : “Va sur les routes et dans les sentiers, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison soit remplie.
Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner.” »
Luc 14, 15-24
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Et si, pour une fois, en méditant cet évangile, on cessait de faire du nombrilisme ecclésial en se lamentant du fait que les baptisés ne viennent plus à la messe ou au culte ? Si on considérait que “le repas des noces de l’Agneau” n’est pas forcément l’Eucharistie ou la sainte Cène ?
Réduire l’invitation du Seigneur à un événement dominical, c’est faire preuve d’une vue assez courte. C’est aussi exagérer la confusion entre Royaume de Dieu et Eglise. Car franchement, on peut s’ennuyer ferme à une messe ou ne pas ressentir d’exultation extrême à un culte. Le Christ Jésus nous a promis en la joie de son Royaume bien mieux que quelques lectures, un commentaire plus ou moins ajusté fait par le célébrant et une hostie consacrée ou un mémorial de son dernier repas ! Nous faire croire que “le festin des noces de l’Agneau”, c’est cela, c’est en quelque sorte – que l’on me pardonne la formule – nous “tromper sur la marchandise” !
Non, Jésus est venu parmi les contemporains de son incarnation pour nous promettre au terme de l’histoire bien mieux qu’une messe ou un culte dominicaux dont on ressort en replongeant dans un monde d’injustice et d’impiété inextricables et immanquablement marqué par le péché. Croire qu’un beau jour, les humains seront authentiquement convertis pour vivre ensemble dans la concorde et la fraternité véritables, c’est faire preuve d’une naïveté et d’un optimisme béat qui contrastent étrangement avec ce que l’homme montre de lui depuis la nuit des temps et de manière cruelle ces dernières semaines, pour peu que l’on s’informe de la marche du monde… N’assistons-nous pas à une régression dans la violence, l’intolérance à la différence culturelle et cultuelle bien plus qu’à un progrès vers la paix et la solidarité ? Les pulsions les plus basses de l’homme ne sont-elles pas réactivées et exacerbées dans les temps belliqueux et haineux que nous vivons ?
Je ne suis pas de nature pessimiste, non : dans la vie en général, je vois toujours le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, mais je suis pour autant sans illusions sur “ce qu’il y a dans l’homme” de pouvoir et d’initiative guerrière. Les nobles intentions de défense ont vite fait de céder le pas aux volontés d’en découdre avec l’ennemi et de se montrer le plus fort… Et toute guerre ne fait qu’accroître haine et désolation en hypothéquant à terme les chances d’accord territorial et politique.
Il est donc plutôt vain, par les temps qui courent, de lancer vers le ciel des prières incantatoires à la survenue de la paix dans le monde… On aura tôt fait de m’estimer dans l’illusion, tandis qu’à mon sens, il est bien plus réaliste de prendre les Ecritures au sérieux, des derniers chapitres des Evangiles à l’Apocalypse, en espérant véritablement la survenue du Royaume de Dieu, à savoir, son établissement dans un ailleurs encore inconnu de nous par le signal du retour du Christ en son second avènement. Voilà ce que nous devons espérer et demander à Dieu dans une ardente prière pour pouvoir entrer véritablement dans la “salle des noces” avec le vêtement de conversion spirituelle adéquat, et non une illusoire ère de paix ici-bas, en cette terre dévastée par la furie des éléments et l’incapacité définitive des hommes à vivre en bonne intelligence les uns avec les autres.
Image : Noces de Cana, Giotto , Fresque de la chapelle Scrovegni, XIVe