En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Jean 16, 12-15
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Dans tous les Evangiles – celui de Jean et les trois synoptiques – cet extrait me semble absolument fondamental. Il est révélateur de la Trinité et de son “mode de fonctionnement” : Jésus y parle du Père, le Dieu éternel d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de lui-même son Fils incarné, il souligne sa place aux côtés de son Père “Tout ce que possède le Père est à moi” (au passage, Jésus ne dit pas : “Je suis le Père descendu du Ciel”, ce qui a son importance), et enfin il révèle l’existence et le rôle de la troisième personne de la Trinité, appelée au gré des traductions Esprit, Esprit de vérité, Esprit Saint ou Saint Esprit, Paraclet, Défenseur… On ne peut que regretter le genre grammatical masculin de cette troisième Personne en français et dans bien d’autres langues, ce qui a fait depuis 2000 ans s’enfler d’orgueil les hommes d’Eglise et leurs disciples prompts à professer une Trinité toute masculine, en utilisant par exemple la formule abusive “La Vierge Marie, épouse de l’Esprit Saint”. Quand une telle formulation non biblique est installée dans les esprits, allez faire comprendre qu’il nous faut impérativement en revenir à la Ruah des origines pour faire saisir à la chrétienté la nature éminemment féminine de la troisième Personne de la Trinité.
“Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme.” Genèse 1, 27
On se demande bien comment l’homme ET la femme pourraient être image d’un Dieu Père, Fils et par surcroît “Monsieur Saint Esprit”.
Cette précision faite, attardons-nous sur l’enseignement de Jésus aujourd’hui à ses disciples, au demeurant douze hommes habituellement assez hermétiques dans un premier temps à ses paroles les plus profondes et les plus inspirées, comme on le constate aux trois annonces successives de sa passion et de sa résurrection promise…
Jésus prend ici le relais des grands Prophètes du Premier Testament qui l’inspirent en permanence. Il fait ici plus qu’enseigner : il prophétise. Pour un temps proche et pour un temps plus éloigné.
« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.»
Jésus a bien compris, par constats répétés, les limites spirituelles, humaines, culturelles de ses douze disciples. Il les a choisis dans le temps de son incarnation, patriarcal, encore assez grossier et brutal, et en outre parmi les plus humbles du peuple : des pêcheurs, des ouvriers, des parias tels que les collecteurs d’impôts… Avec tout le talent pédagogique qui est le sien, il va les convertir peu à peu aux valeurs évangéliques qu’il est venu donner, expliciter, élever bien plus haut qu’une religiosité qu’il fustige souvent. A cette occasion, je voudrais souligner que Jésus ne dénonce ni n’abolit le judaïsme qu’il observe scrupuleusement depuis toujours : non, c’est le légalisme, la religiosité dépourvue de foi véritable et d’amour du prochain qu’il abhorre. A notre époque, il en ferait d’ailleurs exactement de même pour le christianisme quand il se pervertit en observances catéchétiques excluantes et en rituels vides de foi en sa Parole.
Jésus a donc perçu que toute sa connaissance reçue de son Père, il ne peut la transmettre en ce temps de son incarnation, en ces lieux-là, dans cette culture-là, à ces hommes-là, parfois obtus à l’image de Pierre, à ce moment-là de la révélation divine. C’est trop, et c’est trop tôt. Il se résigne à partir avant d’avoir pu révéler à l’humanité ce qui se cache au plus profond du cœur du Père qui a créé l’homme ET la femme à son image. Il mourra avant d’avoir pu délivrer ses sœurs en humanité du joug du patriarcat, bien que par toute sa vie et sa Parole, il n’ait jamais au grand jamais invectivé une créature féminine comme il était coutumier de le faire avec ses disciples l’exaspérant plus d’une fois par leur surdité aux vérités les plus profondes.
Jésus s’en va ressuscité – et nous célébrons demain son Ascension – en nous ayant laissé sa Parole et le témoignage de sa vie publique. A nous d’y discerner les vérités encore cachées dans les replis du cœur du Père et dans les secrets des attitudes du Fils au long de ses trente-trois années de pèlerinage terrestre.
Jésus s’en va, sachant que l’Evangile va renverser les valeurs du monde, mais aussi que ses frères en humanité ne sont pas encore prêts à renoncer à leurs prérogatives mâles et religieuses. Jésus va susciter Paul, à qui nous devons de très hauts développements sur l’Evangile du Christ, mais aussi quelques dérapages bien connus visant à recadrer les femmes, même chrétiennes, en rétropédalant sur l’exemple donné par Jésus de son vivant. Ils ne se sont pas croisés sur les routes de sa pérégrination et Paul n’a pas pu voir de ses yeux l’attitude de son Seigneur face à une Marie de Béthanie dont il a toujours pris la défense, une Marie de Magdala le suivant sur tous ses chemins et élue premier témoin de sa résurrection, une Samaritaine choisie pour recevoir la révélation de sa messianité…
La Pentecôte surviendra pour que les disciples aient enfin le courage d’annoncer la Parole et la résurrection du Fils de Dieu. Mais quelle erreur que de croire et de professer que l’Esprit Saint dispensé à la Pentecôte primitive ait révélé aux disciples contemporains de Jésus la “Vérité tout entière” et que la révélation de Dieu se soit close il y a quelques 2000 ans ! ( Catéchisme de l’Eglise catholique 65). Oh mot malheureux de Jean de la Croix rattrapé, il y a presque cinq siècles, par sa masculinité ancrée dans une Eglise catholique aux mains exclusives des hommes mâles ! Lui qui a recueilli les confidences de sainte Thérèse d’Avila, visitée comme personne par son Seigneur tant aimé, n’a pas daigné comprendre qu’une nouvelle ère s’ouvrait à travers ses filles du Carmel à venir, dont la brillante Edith Stein, sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, qui ouvrirait une voie spirituelle encourageante aux femmes instruites et suprêmement inspirées !
Réjouissons-nous, mes sœurs en humanité, de vivre en une époque où l’instruction nous est ouverte – et déplorons l’obscurantisme qui prive encore d’école les fillettes en certains lieux du monde – réjouissons-nous de savoir lire et écrire, d’avoir accès au lycée et aux universités, d’avoir acquis durement le droit de vote et l’autonomie financière par un travail rémunéré, et enfin, d’avoir accès aux Ecritures sans plus nous résoudre aux diktats des hommes d’Eglise qui se prétendent nécessaires pour que nous les abordions, comprenions et interprétions !
L’Esprit Saint serait donc la propriété privée des ordonnés, réputés en avoir reçu “une dose supplémentaire” par imposition des mains de leurs pairs, dans un entre-soi masculin perpétué depuis Pierre et Paul avec les effets désastreux que l’on sait sur la moralité de l’Eglise ?
A l’heure où une corruption systémique des mœurs et du fonctionnement hiérarchique délétère d’une Eglise qui se prétend la seule légitime et dépositaire de la vérité tout entière, Dieu sort de sa réserve séculaire et envoie enfin la Ruah pour d’ultimes révélations sur ce qui vient du Christ et ce qu’il va advenir du monde. C’est l’heure, et c’est maintenant, où la Trinité est prête à révéler ce que les disciples contemporains de Jésus “ne pouvaient pas porter“. C’est l’heure où la part féminine de la Trinité révèle le scandale de la confiscation masculine de la Révélation à travers vingt siècles de christianisme, pour ne parler que de cette religion-là. C’est l’heure de contrer les affirmations sirupeuses prétendant que tous les vices sont d’emblée pardonnés et que Dieu couvre de sa mansuétude inconditionnelle “les pervers, les pédophiles, les manipulateurs, les prêtres tordus, les satanistes, Satan lui-même” comme il m’a été péremptoirement opposé hier sur les réseaux sociaux. Je m’érige absolument contre cette vision d’un Dieu complaisant jusqu’au scandale aux pires travers de l’homme, celui qui pactise éhontément avec l’Adversaire.
Oui, l’ère des vérités ultimes sur les tréfonds de l’âme humaine et sur l’insondable JUSTICE de Dieu s’ouvre, quatre-vingts ans après le summum de l’iniquité dont l’homme a été capable qu’a constitué la Shoah, l’ère du jugement des vivants et des morts approche à grands pas, et sera suivie de l’ouverture du Royaume promis, enfin, pour toutes celles et tous ceux qui auront accepté d’être émondés de leurs péchés, vices et perversions, décapés par la puissance de l’Esprit de Vérité qui tombera sur eux comme une foudre sanctifiante par la douleur et non comme une onction de jubilation que les faux-prophètes promettent.
Voir en soi-même la vérité de son être profond est tout sauf une promenade d’agrément. On n’entrera au Royaume que purifié de tout ce qui est contraire en soi aux valeurs de l’Evangile, on ne quittera ce monde d’injustice et d’iniquité qu’en laissant derrière soi les scories de son péché et de son orgueil.
Ou alors, si on préfère au Royaume promis les pouvoirs et les séductions du monde, on n’y entrera pas.
Eternité bienheureuse, ou désolation éternelle dans un monde alors vide du beau et du bien.
Image : Jugement dernier Jean Cousin XVIe
1 commentaire
Bonjour Véronique. Belles paroles que voilà, toutes frémissantes d’indignation légitime autant que de foi sincère ! C’est vrai, garder “le dépôt de la foi” depuis 2000 ans n’implique pas de refuser d’en rechercher de nouveaux aspect et de l’enrichir au fil des transformations de notre monde, ses nouvelles réalités, ses découvertes, et ses nouveaux défis à affronter. Parce que notre foi est une foi incarnée, qu’il faut vivre dans la réalité de ce monde, au lieu de s’ancrer dans un passé révolu pour refuser le monde tel qu’il est. Ni meilleur ni pire que le monde du passé, mais continuellement plein de scandales et d’iniquités. “Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps” : TOUT LES JOURS ! J’ai donc bien lu. Ne doutons pas… Bien fraternellement, en communion de prière et de louange.