Aussitôt après avoir nourri les cinq mille hommes, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, vers Bethsaïde, pendant que lui-même renvoyait la foule.
Quand il les eut congédiés, il s’en alla sur la montagne pour prier.
Le soir venu, la barque était au milieu de la mer et lui, tout seul, à terre.
Voyant qu’ils peinaient à ramer, car le vent leur était contraire, il vient à eux vers la fin de la nuit en marchant sur la mer, et il voulait les dépasser.
En le voyant marcher sur la mer, les disciples pensèrent que c’était un fantôme et ils se mirent à pousser des cris.
Tous, en effet, l’avaient vu et ils étaient bouleversés. Mais aussitôt Jésus parla avec eux et leur dit : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! »
Il monta ensuite avec eux dans la barque et le vent tomba ; et en eux-mêmes ils étaient au comble de la stupeur,
car ils n’avaient rien compris au sujet des pains : leur cœur était endurci.
Marc 6, 45-52
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Jésus a nourri abondamment les foules affamées et attend de ses disciples qu’ils en fassent de même, embarqués sur le vaisseau Eglise en attendant son retour dans la gloire tandis que, depuis son Ascension, il se charge d’intercéder pour nous auprès du Père, veillant à toutes nos demandes et supplications ajustées à son cœur généreux et compatissant.
Mais que font les disciples envoyés en mission pendant ce temps ?
“ils n’avaient rien compris au sujet des pains : leur cœur était endurci.“
Jésus a nourri cinq mille hommes en multipliant cinq pains et deux poissons.
Les disciples avaient à nourrir huit milliards d’individus en diffusant sa Parole de Vie, en pratiquant avec justice la charité, et même s’ils ne disposaient pas de suffisamment de pain pour cette foule innombrable, Dieu, voyant leur zèle et leur foi, aurait pourvu par sa générosité manifestée dans des donateurs de bonne volonté et dans l’intelligence humaine capable d’optimiser les techniques de culture, de rendement agricole, de liaisons commerciales, il aurait fait tomber généreusement la pluie sur des terres rendues fertiles et nul n’aurait plus connu la faim. Tel était le vœu du Seigneur en donnant l’exemple de sa magnanimité à l’égard des foules affamées de nourriture corporelle et spirituelle.
Oui mais…
Les disciples n’avaient rien compris au sujet des pains : leur cœur était endurci.
Dans la nuit de l’absence visible du Seigneur, les disciples se sont mis à se quereller entre eux pour savoir qui était le plus grand, qui comprenait le mieux les mystères de Dieu, qui était légitime dans sa succession et qui ne l’était pas, qui demeurerait jusqu’à son retour et qui serait englouti dans une mer déchaînée, qui enseignerait la Parole et qui servirait aux tables, qui était digne de recevoir le pain consacré et qui ne l’était pas…
Au lieu de ramer puissamment pour atteindre l’autre rive avec une barque chargée de nouveaux disciples gagnés à la Parole du Christ, ils se sont mis à charger la barque de dorures, à se revêtir de vêtements rutilants les rendant engoncés dans l’étoffe et inefficaces à ramer, ils se sont distribué des titres et des distinctions les uns aux autres, s’enfonçant peu à peu dans le contre-témoignage qui alourdissait une barque de moins en moins conforme aux désirs du Seigneur et de plus en plus éloignée des préceptes de l’Evangile.
Non contents d’avoir créé un vaisseau hiérarchisé dans son fonctionnement interne, ils ont perdu de vue l’autre rive pour se concentrer uniquement sur la barque qui ne devait pourtant être qu’un moyen et non une demeure perpétuelle, ils ont négligé au fil du temps les œuvres de charité vers le vaste monde au profit de l’entretien de la barque elle-même, ils ont restreint l’accès au pain de vie pour le réserver à leurs compagnons de voyage directs, ils ont même enfermé ce pain dans des réceptacles et des présentoirs dorés pour se prosterner devant lui plutôt que de chercher à en nourrir des foules dénutries et dépourvues de connaissance de la Parole dont ils avaient eu à témoigner.
Ils sont entrés en guerre avec d’autres embarcations en quête elles aussi de l’autre rive, ils ont fait couler le sang chacun au nom de sa propre barque, ils ont scellé leurs divisions dans l’invective et l’anathème.
Face à une mer de plus en plus agitée, ils se sont cramponnés à leurs rames sans plus avancer, cédant à la panique de disparaître au fond des flots tumultueux, terrorisés à l’idée que leur barque si richement ornée puisse ne plus attirer les regards et perdre le monopole qu’ils estimaient être le leur.
Quand le Seigneur est passé près d’eux, marchant sur une mer agitée sous une apparence humaine inconnue d’eux-mêmes, ils ont crié à l’imposteur et ont refusé cette fois de le laisser remonter dans sa propre barque, persuadés qu’ils étaient de mieux le posséder sous une apparence de pain bien enfermé à double tour dans la cale de leur embarcation. Ils ont préféré le signe au messie réel, ils ont préféré les traités accumulés dans la barque au long des siècles à la parole réactualisée du Seigneur, ils ont préféré leurs titres et leurs prérogatives à la main tendue par le messager du Père.
Ils ont préféré sauvegarder la barque à tout prix, plutôt que d’accepter une boussole qui leur proposait l’horizon de l’autre rive.
Alors, dans la nuit de la tempête désormais déchaînée, dans le tourment des éléments gravement perturbés par l’inconséquence humaine millénaire, ils sont restés à cahoter dans leur barque aux dorures défraîchies, ne croyant même plus l’autre rive atteignable de leur vivant. A la parole de vérité de leur Seigneur, ils ont substitué des interprétations savantes mais douteuses et des préceptes humains. Ils se sont cramponnés au mât de leurs certitudes et ont préféré tenter de couler le “fantôme” qui passait près d’eux plutôt que de l’écouter leur parler de la proximité de l’autre rive que seule la nuit de leur foi leur occultait.
Et maintenant ?
A Dieu seul appartient le pouvoir de mettre en lumière les vrais témoins de sa Parole toujours actuelle, à Dieu seul appartient le pouvoir de calmer, ou non, la tempête, pour qu’une multitude de naufragés remontent avec ses témoins authentiques dans une embarcation plus saine qui les mènera véritablement vers l’autre rive.
Elle est toute proche.
Source image : https://www.guyane.catholique.fr/eveque/blog-de-leveque/292245-il-marchait-sur-la-mer/