8 J’ai entendu le Seigneur dire:
«Qui vais-je envoyer et qui va marcher pour nous?»
J’ai répondu: «Me voici, envoie-moi!»
9 Il a alors ordonné: *«Va dire à ce peuple:
‘Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas,
vous aurez beau regarder, vous ne saurez pas.’
10 Rends insensible le cœur de ce peuple,
endurcis ses oreilles et ferme-lui les yeux
pour qu’il ne voie pas de ses yeux, n’entende pas de ses oreilles,
ne comprenne pas de son cœur,
ne se convertisse pas et ne soit pas guéri.
Isaïe 6, 8-10
Traduction Segond 21
Dans l’évangile de ce mercredi 29 janvier (Marc 4, 1-20), Jésus, dans sa parabole du semeur, se réfère à cet extrait d’Isaïe au chapitre 6. Extrait qui m’a toujours vivement interpellée, car il nous révèle la complexité d’un Dieu qui offre largement le salut, mais en se laissant quêter, rechercher, discerner, un Dieu qui ne se révèle jamais par l’évidence, ne s’impose pas, ne donne aucune preuve vraiment tangible à notre foi, un Dieu qui se cache dans la parole et l’exemple de ses élus envoyés pour témoigner de Lui.
Subtilité d’un Dieu qui ne veut rien faire sans passer par notre humanité pétrie d’ignorance et de doute, cette humanité souvent rebelle et préférant maintes fois se passer de Lui plutôt que de partir en quête des traces qu’Il laisse ici et là avec l’ardent espoir d’être recherché et trouvé.
Bienheureux ceux qui consacrent leur vie à cette quête de Dieu, qui est aussi inlassable recherche de la Vérité !
Sans doute Isaïe était-il de ceux-là pour avoir attiré sur lui la confiance de l’Eternel jusqu’à être appelé à devenir son prophète ! Et quel prophète ! Je n’ai jamais caché ma grande prédilection pour les Livres prophétiques dans la Bible, dans le sillage de Jésus qui s’y référait très souvent pour étayer sa parole.
Oui mais…
Prophète, il faut savoir composer avec le souci permanent qu’a le Père de laisser sa créature libre de le chercher ou non, de le prendre au sérieux ou non, de lui obéir ou non, de témoigner de Lui ou non. Cette liberté de quête et de réponse de l’humain, Dieu y tient au-delà de tout. Et c’est ainsi que nous devons comprendre qu’à la fois, Il suscite et envoie des prophètes, et dans le même temps rende la masse humaine sourde et aveugle et ses messagers et aux signes répandus avec prodigalité dans la création et les faits et gestes de ceux qui l’ont déjà trouvé.
Si c’est là la pédagogie difficile et exigeante d’un Créateur discret et comme absent de sa création, quelle souffrance pour le prophète engoncé dans son humanité, reconnu comme humain à égalité avec la multitude alors qu’il a percé de grands mystères divins, suspecté d’imposture ou de délire, moqué au mieux, persécuté voire mis à mort au pire pour avoir porté à l’humanité une parole qui déplaît !
Car les hommes n’aiment rien davantage qu’une parole qui les rassure et les conforte dans leurs croyances erronées et leurs insouciances terrestres. Oh, ils ont un succès fou, tous les faux prophètes qui sont légion, ceux qui caressent l’humain dans le sens du poil et qui semblent tombés du ciel pour confirmer des doctrines ecclésiales séculaires !
Prêchez un Dieu de mansuétude qui passe magnanimement un coup d’éponge sur les iniquités humaines, un Dieu qui promet prospérité et autorité non contestée aux dignitaires des différentes religions, un Dieu qui justifierait toutes les lois religieuses ayant cours, jusqu’à celles visant à opprimer l’autre, le différent, le plus faible, prêchez ce Dieu-là et vous aurez l’écoute et la reconnaissance des foules comme l’ont eue tous les faux prophètes avant vous !
Mais au contraire, comme le Christ, comme avant lui Isaïe, ou Jérémie, ou Ezékiel, annoncez un Dieu qui soit toujours du côté de la victime, du pauvre, du minoritaire, de l’opprimé, annoncez un Dieu qui fustige le carriérisme religieux, la rigidité des doctrines élaborées au fil des siècles par des hommes de pouvoir plus que de foi, annoncez un Dieu qui relève la femme ostracisée, un Dieu qui dénonce l’orgueil, l’inconséquence, le contre-témoignage, l’esprit de conquête et le bellicisme masculins, et vous serez voués aux gémonies par les faux pieux jaloux de leurs prérogatives auto-octroyées qu’ils s’imaginent conserver jusque dans la gloire du Ciel !
En somme, annoncez un Dieu soucieux de rétablir l’équité plutôt que de distribuer des bonbons de mérite théologique, des honneurs et des distinctions, un Dieu qui “renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles”, (Luc 1, 52), un Dieu qui choisisse pour porter et annoncer son Verbe des femmes de foi, de courage et de sincérité plutôt que ceux qui se revêtent de vêtements liturgiques et sacerdotaux ostentatoires, annoncez ce Dieu-là et les oreilles s’endurciront, et les yeux se fermeront, et les cœurs fomenteront la haine à votre égard plutôt que l’écoute bienveillante qui les aurait sauvés…
Oui, exigence d’un Dieu qui se dissimule dans les replis des âmes assoiffées de vérité, qui les envoie témoigner de Lui tel qu’il Est et pas tel qu’on le désire ou le fantasme, un Dieu qui bouscule les certitudes et au besoin les étals des marchands du Temple, et souffrance de ses élus qui crient dans le désert où rode le Malin prompt à couvrir de ronces le bon grain semé par le Verbe…
Ainsi, Dieu choisit, se révèle et envoie son élu dans un monde hostile à la vérité qui fera tout pour étouffer son témoignage à la source ou à l’entrée des âmes…
Mais là, au creux de la prière de son élu, Dieu sera pour lui brûlant d’amour et de consolation, plein de reconnaissance et d’encouragements face à l’adversité endurée, si bien que le prophète, mû par l’ardente nécessité du témoignage, repartira au combat dès le lendemain dans l’espérance inextinguible de la conversion de quelques-uns…
Image : Roland Topor “Ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler” lithographie, vers 1970