01 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ?
02 La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
03 Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” »
04 Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
05 Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
06 La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea.
07 Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes.
08 Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin.
Genèse 3, 1-8 Textes liturgiques©AELF
Que n’a-t-on pas prêché autour de ce texte au fil des siècles, que n’a-t-on pas, depuis la nuit des temps de la révélation biblique, culpabilisé, humilié, stigmatisé les femmes au nom d’une Eve instigatrice du péché de l’humanité, coupable de la toute première faute, corruptrice d’un Adam innocent qu’elle allait entraîner dans la disgrâce, et toute leur descendance après eux !
On va me rétorquer que les prédicateurs chrétiens ne disent plus ces choses-là de nos jours, qu’il est admis que le péché est partagé, équitablement réparti entre l’homme et la femme des origines. Voire. Les mythes ont la vie dure, et pour le commun des mortels ignares en matière de théologie, le mal est fait. Qui prononce le prénom Eve pense immédiatement, comme quelque chose qui lui colle à la peau, à ce péché des origines dont elle serait éminemment coupable. Et quand bien même on voudrait épurer le langage contemporain, le cliché nous revient dans les arts picturaux ou les paroles des œuvres sacrées. “Eva peccatrice” chantons-nous encore dans une hymne à la Vierge de Britten cette année-même dans le chœur dont je fais partie. Rien ne pourra effacer cette conception tenace d’une Eve pécheresse du paysage religieux universel.
Or je m’emploie depuis des années à tenter de lui tordre le cou. Pas seulement pour faire justice à toutes mes sœurs en humanité, mais aussi pour réhabiliter à travers elles Eve elle-même. Et il faut bien reconnaître que, loin d’arranger notre sort commun, toute la théologie catholique mariale a encore enfoncé le clou et aggravé les choses d’un cran. On parle de Marie “la toute pure” pour mieux noircir Eve et par là-même, toute femme n’étant pas la mère de Jésus… soit toutes les femmes que la terre a portées jusqu’ici.
Or, c’est à Genèse 3 qu’il faut encore et toujours en revenir pour décrypter ses enseignements. Loin de moi l’idée de jeter la Bible aux orties. Tout au contraire, je ne cesse de la méditer, sans pour autant la décortiquer au scalpel à travers toutes ses traductions comme font de savants exégètes. Mon propos n’est pas de déblatérer entre “sachants” de ce que les Ecritures ne diraient qu’aux doctes scribes contemporains. Je préfère me positionner au niveau du fidèle non théologien qui reçoit ce texte en pleine figure aujourd’hui à la messe ou dans son “Prions en Eglise”. Et prendre ce texte à l’état brut, y compris dans cette traduction liturgique. Car même ainsi, il est déjà riche d’enseignements.
Genèse 3 commence par évoquer le serpent. C’est bien lui le principal protagoniste de cette histoire, et il serait temps de cesser de voir en lui des circonvolutions de notre cerveau et de notre âme, ce qui est fort “tendance”. Je pense que la Bible et la mode ne font pas bon ménage.
Le serpent est extérieur à Eve, tellement extérieur à elle que dès le premier verset, les deux sont en opposition l’un à l’autre. Ils n’ont rigoureusement rien en commun, ni d’un point de vue physiologique, ni d’un point de vue spirituel.
Je m’explique.
Le serpent est défini comme le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits.
Animal. Des champs.
Tandis qu’Eve, au chapitre 2, est décrite comme tirée de l’humain glaiseux auquel Dieu a déjà insufflé le souffle divin. Ainsi, Eve est d’emblée dotée d’humanité et d’Esprit, à la différence d’un serpent bestial rampant au sol.
Et donc, Eve, tandis que nulle scène de la Genèse antérieure à celle-ci ne la montre enseignée par Dieu, fait déjà spontanément mémoire de sa Parole, elle l’a assimilée et veut s’y conformer (versets 2 et 3). Elle porte en elle à la fois la parole de Dieu et la volonté de lui obéir.
Survient alors face à elle et non pas en elle le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits, le serpent. Et ce serpent de se mettre à lui parler, à déformer la Parole de Dieu, à lui troubler l’esprit, à détourner sa candeur et sa volonté d’obéissance, à lui faire miroiter une réalité autre que celle du Créateur dans l’unique but de la détourner de son Dieu. Le serpent a rencontré une créature d’obéissance – pourquoi donc ne s’est-il pas adressé à Adam en premier ? – qui n’a rien de commun avec lui-même et qu’il veut pervertir. Et c’est en lui embrouillant totalement les idées qu’il va y parvenir.
Je m’accorde ici une parenthèse.
Qui ne reconnaîtrait pas dans ce serpent toute la horde des pervers narcissiques, qui sont en très grande majorité des hommes, s’acharnant à phagocyter à leur profit les plus innocentes et bienveillantes des femmes ? Là où elles entrent en empathie pour eux, là où elles croient en leurs boniments, là où elles sombrent peu à peu dans le doute sur elles-mêmes et leurs plus belles valeurs, ces hommes séducteurs, trompeurs, manipulateurs, souvent vides de substance humaine et divine véritable ne sont-ils pas autant de serpents de la Genèse prompts à détourner les plus belles âmes à leur profit ?
Revenons donc à Eve. Comment pouvait-elle résister à cette tromperie du serpent qui lui promet monts et merveilles si elle le croit, si elle le suit ? Comment pouvait-elle ne pas désirer l’intelligence et la vie qu’il lui fait miroiter ?
Et j’ose ici encore un parallèle.
Les grands prédateurs ecclésiaux, du frère Marie-Dominique Philippe à Henri Grouès en passant par Jean Vannier n’ont-ils pas tous cherché à séduire, embrouiller, tromper, salir des jeunes filles et femmes d’innocence et de foi avec un discours pseudo-spirituel bien huilé et une vitrine de bonnes œuvres leur servant d’alibi et de hameçon ?
Et qu’ils se lèvent, les hommes d’Eglise qui ont su discerner en eux dès le départ le serpent des origines ! Qu’ils se lèvent, tous les Adam prétendument saints qui ont résisté à cette tromperie millénaire et qui ont protégé l’innocence contre la prédation !
Car on cherchera en vain en Genèse 3 une réaction de protection de la part d’Adam vis-à-vis de sa compagne. Nulle part il ne la met en garde, ne s’interpose, ne lui rappelle la Parole originelle de Dieu qui lui avait pourtant été confiée explicitement à lui en premier (Genèse 2, 16), bien au contraire, il n’est que trop content quand Eve, pleine de désir de lui apporter vie et intelligence, va lui partager le fruit qui lui était avant tout interdit à lui !
Et j’ouvre la troisième parenthèse : qu’a fait une Eglise exclusivement masculine en sa hiérarchie pour protéger d’innocentes créatures à elle confiées – enfants, jeunes filles, femmes en grand désir de sainteté – contre des prédateurs qu’elle abritait en son sein, qu’elle générait, qu’elle adulait, qu’elle a couverts voire absous et même été tentée de canoniser ? Qu’a fait cette Eglise contre tous les serpents d’hier et d’aujourd’hui ?
Ma conclusion mettra en évidence le scandale absolu qu’il y a toujours eu et qu’il y a encore à stigmatiser Eve comme cause et source de chute pour Adam, à savoir l’homme et l’humanité tout entière.
Je le redis, il n’y a entre la femme et le serpent des origines aucune ressemblance, aucun gène commun, aucune accointance quelle qu’elle soit, mais au contraire une dualité et une puissance de nuisance réciproque que Dieu précisera en Genèse 3, 14-15 :
14 Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
15 Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. »
Tandis que l’homme symbolisé par Adam demeure, en Genèse 3, 17-19, lié au sol qu’il devra cultiver pour gagner son pain tout en restant collé à la poussière… comme le serpent.
Au lieu de se prémunir de la voix des femmes en écho à Genèse 17, les hommes d’Eglise et les hommes en général feraient bien de se pencher enfin sur ce que l’une d’entre elles, pour sa part hermétique au serpent des origines, a à leur dire…
Image : Hans HOLBEIN “Adam et Eve” 1517 Kunstmuseum Basel (détail)
1 commentaire
Magnifique reflexion avec une conclusion qui tombe comme une belle évidence…sauf que jamais ces paroles de Dieu opposant le serpent et la femme ne nous sont pas mises en valeur, en réflexion …et plutôt passées sous silence.
Merci pour cette éclairage judicieux et auquel, vous le savez je crois, j’adhère pleinement.
Quel combat il faut continuer à livrer pour faire avancer les choses !!! Gardons courage…