ÊTRE AIMÉ…. POUR S’AIMER …. POUR AIMER L’AUTRE
Après sa longue traversée du pays, Jésus est enfin entré à Jérusalem, acclamé par une foule en liesse qui voit en lui le messie. Mais au lieu de se dresser contre l’occupant et de dénoncer les pécheurs, il pénètre dans le temple et en chasse les marchands en s’appuyant sur l’oracle d’Isaïe : « La demeure de Dieu doit être une maison de prière pour tous les peuples » (Is 56, 7). Cet esclandre met le comble à la furie des grands prêtres qui décident de le supprimer au plus vite mais ensuite, chaque jour, imperturbable, Jésus revient enseigner sur l’esplanade du temple et les gens se pressent pour l’écouter avec plaisir.
La fête de la Pâque s’approche, les pèlerins affluents par milliers, l’ambiance monte. Suspense. Que va-t-il se passer ? Durant ces derniers jours, Marc nous présente 5 scènes de débats où les ennemis de Jésus tentent de le piéger afin de le discréditer devant le peuple et pouvoir l’arrêter. Mais de même que lors des 5 affrontements qui avaient éclaté au début en Galilée (2, 1 à 3, 6), Jésus sort vainqueur de ces joutes théologiques (11, 27 à 12, 37) — Aujourd’hui voici la 4ème scène.
Un scribe s’avança vers Jésus et lui demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? ».
Chez Matthieu et Luc, cet homme est mû par l’animosité envers Jésus mais Marc le présente au contraire comme un homme de bonne volonté. Méfions-nous donc de toute généralisation : aucun groupe n’est bloqué dans le mal ni intégralement bon. Parmi les scribes hostiles, celui-ci est ouvert à l’Evangile ; parmi les apôtres il y aura Judas qui se ferme à la grâce.
Les théologiens juifs, soucieux d’une observance de plus en plus méticuleuse à la Loi de Dieu, avaient multiplié les observances mais dans la masse des centaines de préceptes que l’on enseignait au peuple, quel était finalement l’essentiel, celui qui permettait de hiérarchiser les autres ?
Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force »
Jésus cite le « SHEMA » (« écoute » en hébreu), la grande profession de foi fondamentale d’Israël, la prière que chaque Israélite (encore aujourd’hui) doit prononcer de toute son attention chaque matin et chaque soir. Le mot « Seigneur » désigne YHWH, le Dieu qui s’est manifesté en libérant les Hébreux d’Egypte et en faisant Alliance au Sinaï avec son peuple. C’est par amour qu’il a agi jadis et encore aujourd’hui car « tout juif doit se considérer comme étant sorti d’Egypte », comme bénéficiaire personnel de cette grâce divine. YHWH est UN, UNIQUE, totalement distinct des idoles païennes. En conséquence, le croyant se doit de l’aimer en retour. Certains objectent que l’amour ne peut pas se commander mais ici il ne s’agit absolument pas d’un ordre édicté par une Puissance mais d’un retour, d’une reconnaissance. Quiconque «reconnaît» que sa liberté n’est pas sa conquête propre mais un don de Dieu, ne peut que vivre dans la « reconnaissance », la gratitude. L’amour n’est pas commandement mais reflet de la foi-confiance.
Cet amour pour YHWH, le Dieu UN, ne peut être partiel, éphémère, limité à des moments «sacrés », réduit à une cotisation d’offrandes et de rites : il ne peut être que total, mobilisant toutes les facultés de l’homme, sa pensée, son cœur, ses possessions (toute ta force).
La foi en l’amour du « UN » ne peut qu’UNIFIER l’être humain. Si les idoles multiples le tiraillent en tous sens, la foi UNE le rassemble, intègre toutes les facettes de son être, le pousse à son accomplissement global.
La foi est un rapport JE/TU : Toi, YHWH, tu m’aimes en me sauvant : moi, croyant, je t’aime et deviens UN.
Cette affirmation absolue n’est pas conclusion de la raison, fruit des efforts de la volonté : elle s’ECOUTE, elle se reçoit. Le croyant la reçoit de la tradition de son peuple. En affirmant cette foi, il se voit comme membre du peuple de YHWH, il se reçoit unique et communautaire.
Mais Jésus ne s’arrête pas là et il continue :
« Voici le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
L’amour du prochain n’est pas une invention chrétienne : ce précepte est inscrit dans Lévitique 19, 18. Mais il semble bien que Jésus soit le premier à avoir joint ces 2 commandements l’un à l’autre. Car ils restent 2 (« Voici le second »), le 2ème ne supplante pas le 1er pas plus que le 1er ne se suffit à lui tout seul. Cet amour n’est pas civilité de bon aloi, simple politesse, juxtaposition pacifique, poignée de mains sans engagement mais totale « bien-veillance », volonté de « bien-faisance ». Traiter l’autre comme on désire l’être soi-même.
« Comme toi-même » : le problème originel ne gît-il pas ici ? En effet il n’est pas si simple de s’aimer : les psychologues savent combien de dépits, d’aigreurs, de regrets vis-à-vis de nous-mêmes nous habitent. Les autres nous renvoient de nous une image dévalorisante, parfois dédaigneuse ; et nous avons si souvent manqué nos projets ; et nous n’avons pas atteint l’idéal que nous voulions réaliser ; et nous voudrions une autre apparence. En ce cas, comment aimer l’autre si déjà nous n’arrivons pas à nous accepter, à nous aimer vraiment ? « La grâce des grâces serait de s’accepter soi-même » écrivait G. Bernanos. C’est ici qu’apparaît le 1er commandement et le rôle essentiel de la foi.
Partir de soi (« Tu n’as qu’à aimer ») serait s’engager sur une voie sans issue et semée de pièges. Avec sa tradition, Jésus commence avec le 1er commandement qui est d’abord révélation de l’amour inconditionnel du Dieu Un pour toi, homme, qui est UN, unique, irremplaçable. « Ecoute » : ouvre-toi d’abord à ce Dieu qui n’est pas une Transcendance écrasante ni un dogme, mais Quelqu’un qui, dès ton origine, s’occupe de te « faire sortir » (de ton égoïsme, de tes dépits, de tes ruminations, de ta solitude, de la prison de tes contraintes) et qui te met en route à sa rencontre.
Si tu te crois « aimé », alors tu peux t’aimer. Et en t’aimant, tu peux aimer l’autre.
Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as raison de dire que Dieu est unique et qu’il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices ».
Le théologien répète la réponse de Jésus et en tombe tout à fait d’accord. Et alors même que nous restons dans l’enceinte du temple où se déroulent tous les sacrifices du culte, il proclame que l’amour est bien supérieur à toutes les quotidiennes offrandes animales. Le prophète Osée n’avait-il pas déjà transmis cette volonté de Dieu : « C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice » (Osée 6, 6 — verset répété deux fois par Matthieu 9, 13 ; 12, 7).
Voyant qu’il avait fait une réponse judicieuse, Jésus lui dit : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».
Le scribe, en accord avec Jésus, a bien synthétisé la tradition spirituelle de son peuple, il est un bon croyant juif fidèle. Mais, comme Jean-Baptiste et les autres, il vit encore dans une religion de lois à apprendre, à répéter et à appliquer.
Il ne peut savoir ce qui va se dérouler dans quelques jours : Jésus va s’offrir sur la croix pour libérer tous les hommes (et tous les scribes savants) de leurs insuffisances, de leur incapacité à aimer vraiment. Il manifestera, il prouvera à quel point Dieu aime tous les hommes « jusqu’à donner son Fils » et il offrira l’Esprit qui embrasera le cœur croyant de sorte que celui-ci aimera ce Dieu qui l’a tant aimé, qu’il s’aimera dans ses faiblesses et ses défaillances et qu’il aimera son prochain quel qu’il soit.
Le fidèle ne sera plus sous le régime de la Loi mais dans LE ROYAUME DE DIEU où les relations ne sont plus que miséricorde.
Source : http://www.predication.org/