Jésus remarqua un publicain (collecteur d’impôts) du nom de Lévi assis à son bureau de publicain. Il lui dit : « Suis-moi. »
Abandonnant tout, l’homme se leva et se mit à le suivre.
Lévi lui offrit un grand festin dans sa maison ; il y avait une grande foule de publicains et d’autres gens attablés avec eux.
Les pharisiens et les scribes de leur parti récriminaient en disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? »
Jésus leur répondit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs, pour qu’ils se convertissent. »
Luc 5, 27 – 32
Cette page d’Evangile a fortement marqué l’Eglise, et c’est une bonne chose. Je pense que le message de Jésus est bien passé : “Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs, pour qu’ils se convertissent.”
Cependant, je voudrais poursuivre par ma propre méditation.
Je constate que l’Eglise d’aujourd’hui affectionne les délinquants de toutes sortes, petits ou grands, et que depuis un certain temps, elle aime en faire des héros quand ils se convertissent (ils donnent des conférences qui font salle comble…), des groupes de prière intercèdent pour les grands criminels, et certains chrétiens ne se sentent jamais aussi saints que quand ils prient pour le salut d’un dictateur ou d’un tueur en série. Ne parlons même pas des violeurs… La prise de conscience par l’Eglise de l’extrême gravité des actes de pédophilie en son sein est assez récente. Pendant combien de décennies, voire de siècles, les prêtres coupables ne se sont-ils pas tenus dans les vêtements sacerdotaux à présenter l’offrande du Corps et du Sang du Christ avec une âme chargée des plus noirs péchés ? Qui leur en donnait l’absolution ?
Pour les viols de jeunes filles et de femmes dans la société civile, la prise de conscience n’est pas encore entièrement faite. Je témoigne que j’ai entendu des chrétiens – et pire, des chrétiennes – dire qu’on n’était jamais importunée par un homme sans l’avoir en quelque sorte un peu cherché. Eternelle bascule de la responsabilité dans les affaires de viol, où de victime, la femme devient coupable d’avoir séduit. L’histoire biblique de Suzanne en est une belle illustration (Daniel grec 13, 1-64). De même certains persistent-ils à croire que Bethsabée est responsable du péché de David, alors qu’il a usé sur elle d’un “droit de cuissage” des plus abjects (2 Samuel 11, 1-27).
On va se demander où je veux en venir.
C’est que l’Evangile est proclamé depuis presque 2000 ans, et que je trouve qu’on ne tient pas assez compte du fait que les commandements de Jésus sont connus depuis très longtemps. Qu’on veuille le reconnaître ou non – et en particulier dans notre cher pays – la plupart des lois du bien vivre ensemble trouvent des racines dans le christianisme et avant lui, dans le judaïsme. Ne pas nuire à son prochain est l’un des commandements de base de Dieu depuis qu’Il s’est révélé aux Hébreux.
Alors personnellement, je trouve qu’il y a trop de mansuétude dans l’Eglise d’aujourd’hui pour les délinquants, les criminels, les trafiquants de drogue, les violeurs. On accepte toujours d’entendre leurs mille et une excuses. On imagine Jésus attablé avec eux. On se réfère sans cesse au bon larron. Mais quand évoque-t-on l’autre, celui qui a fait le mal et ne s’en est pas repenti ? Quand évoque-t-on Barabbas, qui a confisqué la grâce de la Pâque à Jésus ?
Je suis parfois fatiguée de cette largesse des chrétiens vis-à-vis du crime. Le Christ, et après lui les Apôtres, nous ont-ils laissé entendre que nous pouvions pécher en paix, que la miséricorde viendrait de toute façon, que le bon Jésus serait là pour nous accueillir à bras ouverts dans son paradis quelles que soient les souffrances que nous ayons infligées à notre prochain ?
On prêche volontiers sur le verset “Et le Roi leur fera cette réponse : “En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” (Matthieu 25, 40), mais on se dépêche d’oublier celui qui le suit de près : “En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.” (Matthieu 25, 45)
Et j’ajouterai même qu’à force de prêcher depuis 2000 ans en utilisant toujours le terme de “frère” et de “petit”, on oublie vite et facilement la “soeur” et la “petite”.
Que de complaisance, au cours des siècles, de la part des prêtres pour les pères et les maris violents ! Que d’absolutions de viols considérés comme des crimes mineurs !
Quant aux femmes, elles, elles étaient blâmées en chaire pour une grossesse hors mariage ou même pour un chapeau trop joli.
Alors à méditer cet Evangile aujourd’hui, j’ai envie de dire que j’en ai un peu assez qu’on me fasse la morale et qu’on me considère comme une mauvaise chrétienne parce que je n’ai pas envie de fréquenter des dealers et des agresseurs de vieilles dames.
Et que si j’ai des amis qui n’ont pas l’heur de plaire à l’Eglise – des personnes vivant en union libre, des femmes ayant avorté, des blessées de la vie qui vont de psychiatre en psychiatre – c’est ma manière à moi de vivre l’Evangile et c’est en elles que j’ai trouvé les plus pures amitiés.
Image : La Chaste Suzanne Jean Metsys ou Massys (1500-1570)