« Le carême est un temps de pénitence » nous disait-on et on nous expliquait qu’il fallait donc, pendant 40 jours, pratiquer l’ascèse, s’infliger des privations, renoncer à des plaisirs, prendre un air pieux donc triste. On racontait même que, pendant cette période, dans des monastères, les moines se flagellaient afin d’expier leurs péchés ; en Espagne, des « pénitents », revêtus d’une cagoule noire, déambulaient dans de lugubres processions au son du tambour.
Or ce mot de « pénitence », dans toute la Bible, traduit le mot grec « metanoia » qui signifie : réfléchir afin de changer d’avis et de comportement, donc se convertir. Un pénitent n’est pas celui qui s’inflige des « pénitences » mais l’homme heureux qui reconnaît qu’il a fait fausse route, modifie ses projets et adopte une conduite tout à fait différente afin d’atteindre son but. Le carême est bonne nouvelle. Cette conversion, à cause du poids de nos habitudes, peut être ardue mais elle est toujours sursaut de vraie vie, élan de celui qui repart sur le chemin de Dieu, fidèle à chercher sa propre vérité.
Après Jean-Baptiste, Jésus a proclamé la venue du Règne de Dieu et a sans cesse exhorté à en accepter les exigences donc à se convertir. L’évangile de ce dimanche en fournit un appel pressant.
LES EVENEMENTS INTERPELLENT
Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu’ils offraient un sacrifice. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous dis : et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux.
Et ces 18 personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière »
Deux faits divers dramatiques viennent de se produire: les soldats romains ont surpris des résistants juifs en train de prier pour la réussite de leur combat et ils les ont massacrés- le préfet Pilate était en effet connu pour la férocité de ses actions de répression. D’autre part, dans la capitale, une tour en construction s’est effondrée ensevelissant ses ouvriers. Ces événements alimentent toutes les conversations et éveillent les soupçons de certains: ces victimes n’ont-elles pas été punies par Dieu qui n’approuvait pas leur comportement ? N’était-ce pas des hommes qui avaient commis de grandes fautes et que Dieu avait voulu châtier ? Jésus s’élève avec force contre cette fausse conception qui lie mal et malheur, péché et souffrance : il n’admet pas qu’un accident soit la conséquence d’un comportement immoral.
Ce qui le frappe, lui, c’est l’issue inéluctable et soudaine : ces gens vivaient, travaillaient lorsque tout à coup la mort les a frappés. La leçon vaut donc pour les vivants : maintenant que nous vivons, il est urgent de NOUS CONVERTIR, de changer de conduite, de croire dans le message de Jésus et de vivre selon ses enseignements. Car si on ne le fait pas, on se dirige vers une mort spirituelle infiniment plus grave que celle du corps : « Vous périrez ».
Ainsi les événements doivent être pour nous non seulement l’occasion d’une plainte sur le malheur des hommes, mais un avertissement, un signal. Quelle guerre mènes-tu contre le mal ? Comment construis-tu ta vie ? Mieux qu’un sermon ou un livre, un événement peut nous aider à ouvrir les yeux, à réfléchir et à revenir à la foi de l’Evangile. La suite va nous expliquer qu’il n’y a pas là qu’une belle idée.
LA PARABOLE DU FIGUIER
Jésus leur disait aussi cette parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le ! A quoi bon le laisser épuiser le sol ? ». Mais le vigneron lui répondit : « Seigneur, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir…Sinon tu le couperas ».
En contemplant les paysages de la terre d’Israël, ces beaux vignobles parmi lesquels les propriétaires avaient coutume de planter ci et là un figuier dont les fruits étaient succulents et dont le feuillage donnait une ombre très agréable, les rabbins en tiraient une parabole : Israël est comme une vigne de choix et, en son milieu, Dieu y a installé sa grande Demeure, le Temple de Jérusalem.
Jésus reprend cette image mais, comme les prophètes, il dénonce une religion hypocrite. En effet le drame, c’est que les habitués de ce Temple ne vivent pas comme Dieu (« le propriétaire ») le veut. Constructions imposantes, cérémonies et processions, chants et cantiques, personnel revêtu de magnifiques ornements liturgiques, sacrifices accomplis dans les règles, rituel parfaitement observé : oui certes mais les pratiquants n’observent pas l’enseignement qui y est donné. La liturgie est conforme à ses canons mais ne change pas la vie.
Il en va comme d’un figuier à la belle apparence, au feuillage magnifique mais qui, depuis longtemps, ne produit pas les fruits qu’on en attend. En conséquence ne faudrait-il pas supprimer cet appareil hypocrite ?
Mais Jésus (« le vigneron ») aime ses plantations et en dépit de ses déceptions, il veut encore espérer. Prenons encore un délai d’un an, dit-il : je vais multiplier les efforts, tout faire pour que cet arbre, enfin, donne les fruits attendus. Et il ajoute ce mot pathétique : « PEUT-ETRE…! ».
Si le passé est décourageant, l’avenir est incertain car le culte se satisfait de ses prestations, les hommes sont libres et ils refusent parfois longuement de SE CONVERTIR. Mais à force de soins, de bousculades, d’appels pressants, ne vont-ils pas changer quand même, se mettre à pratiquer ce qu’ils écoutent, à vivre ce qu’ils chantent, à incarner leurs prières dans leur existence quotidienne ?
La CONVERSION est urgente…Encore un an…PEUT-ETRE..Magnifique patience du Seigneur qui ne se lasse pas d’appeler, d’exhorter, d’attendre « les fruits ». Car la conversion n’est pas qu’une idée, une déclaration, la récitation de formules : elle est décision, option pour un changement réel, passage à l’acte.
CONCLUSION
Il est important de remarquer que Jésus ne lance jamais des appels à la conversion aux Romains païens. Et qu’il s’est toujours heurté, et de plus en plus violemment, à ses compatriotes : au peuple qui ne demandait que la guérison des maladies, à des pharisiens qui s’engageaient précisément à observer la Loi avec minutie, à des scribes acharnés à scruter les Ecritures et à les expliquer, à des grands prêtres férus de liturgie et officiant avec le plus grand sérieux. Ce sont eux, qui se croyaient « en règle », que Jésus apostrophait. Il appelait à « se convertir » des gens convaincus qu’ils étaient convertis ! D’où l’étonnement, l’incompréhension, le refus puis la haine.
Donc le carême est un temps spécial pour la conversion des chrétiens et les médias peuvent nous aider à aller en ce sens. En rapportant calamités, accidents, désastres, ils ne nous incitent pas à nous résigner ni à pousser des lamentations ni à désespérer: bien plutôt ils nous secouent et nous pressent de nous convertir.
La parabole, elle, nous rappelle que la piété ne peut se contenter de belles apparences (le figuier au beau feuillage) et qu’elle doit absolument se traduire en actes, en fruits. Jésus, « le vigneron », ne nous laisse pas tranquilles : il nous secoue, nous creuse, aère nos racines, nous envoie des revers qui bousculent notre médiocrité. « Dans quel bourbier je suis » murmure tel chrétien : il ne voit pas que les secousses de sa vie sont comme « le fumier », les « coups de bêche » du vigneron appliqué à le guérir de sa sécheresse.
Alors, peu à peu, « PEUT-ETRE » !!!, nous risquons un nez dehors, nous osons des initiatives, nous menons une lutte acharnée contre le mal, nous construisons une Eglise plus authentique.
Il est sans doute bon de se donner un programme « pénitentiel » : il est bien mieux de se laisser travailler par notre Seigneur. A un journaliste qui lui demandait ce qu’il faut changer dans l’Eglise, mère Térésa répondait : « Moi, Monsieur ».