Dimanche dernier on lisait le récit du fils prodigue, et ce matin on pourrait presque dire « la femme prodigue ». Car, que de points communs entre eux deux !
Ils quittent leur maison sur un coup de tête ou sur un coup de cœur. Et ils dépensent tout : l’un dépense tous ses biens avec des filles, l’autre dépense tout son cœur avec un amant lui aussi adultère !
Et puis ils reviennent à la réalité. Le fils décide de retourner vers son père. La femme ne décide rien : elle est prise sur le fait… et c’est bien souvent comme cela que se terminent ces amours clandestins ; et elle risque gros. Jusqu’au moment où elle est conduite non devant le père comme le fils prodigue, mais devant le Fils, Jésus, qu’elle ne connaissait pas et dont la rencontre va bouleverser toute sa vie.
Jésus, un homme, qui connait tout ce qu’il peut y avoir dans le cœur de l’homme, dont St Paul nous dit si bien qu’il fait le mal qu’il ne voudrait pas faire, et qu’il ne fait pas le bien qu’il voudrait faire. D’où cette grande patience et cette grande espérance que Jésus met en l’homme. Il connaît la parabole de l’ivraie et du bon grain dans le champ et il sait qu’il ne sert à rien de se précipiter pour vouloir les séparer. Il connaît ces arbres desséchés dont on croit qu’ils ne pourront plus porter de fruits ; et il dit qu’il faut leur laisser leur chance. Et cette femme a de la chance qu’on l’ait amenée à Jésus et qu’on ne l’ait pas lapidée sur le champ comme le demande la loi de Moïse.
Car ce Jésus qu’elle a devant elle va lui apporter un tout autre visage de Dieu que celui d’un juge ; mais bien au contraire le visage d’un père qui accueille ou recueille le fils prodigue. Jésus veut nous apporter le visage d’un Dieu qui nous aime. Zundel a cette très belle réflexion « peut-on aimer un rouleau compresseur, peut-on aimer la force quand elle nous brise ? ». Un Dieu qui nous aime mais qui n’est pas pour autant laxiste. Non. Mais un Dieu de miséricorde qui enseigne qu’il nous faut pardonner 77 fois 7 fois, car, comme le dit Pascal, « le cœur de l’homme est malade ». Et qu’est-ce qui peut le guérir ? C’est ce qui se passe ici dans ce face à face de la misère et de la miséricorde.
Le premier pas vers la guérison est de faire jaillir la vérité au fond du cœur.
Plusieurs fois dans les Évangiles, on nous rapporte le dialogue de Jésus avec une femme. Ici la femme adultère, là la samaritaine qui a eu cinq maris, ou encore Marie-Madeleine une pécheresse qui lui lave les pieds de ses larmes. Avec chacune Jésus a un dialogue en tête à tête, ou un simple regard en profondeur qui en dit long. Et ce dialogue ou ce regard permet à ces femmes de faire la vérité au fond de leur cœur et de se situer comme telles, sans honte, devant Jésus et son entourage. Des dialogues comme ceux que peuvent en avoir les aumôniers et visiteurs de prisons, les membres du Nid qui côtoient les prostituées, et qui nécessitent une longue formation pour ne pas tomber dans certains pièges. Des dialogues courageux comme ceux qu’ont eus les cardinaux pour faire la vérité dans l’Eglise, avant l’élection du Pape François. Jésus est un homme de miséricorde devant qui on peut faire tranquillement la vérité, mais acceptons-nous ce dialogue, acceptons-nous de nous laisser regarder par lui en profondeur ?
Mais au-delà de ce dialogue, Jésus veut aller beaucoup plus loin : il veut mener son interlocuteur sur le chemin de la liberté ; là est le second point de la guérison.
Toutes ces femmes dont j’ai parlé prennent petit à petit conscience au cours de leur dialogue avec Jésus qu’elles ne sont plus libres, mais qu’elles sont bien au contraire enchaînées par leurs passions ; tout comme un alcoolique, un drogué, un joueur. Tous sont refermés sur eux-mêmes, sur leurs passions, et se coupent du monde extérieur.
Tout comme le jeune homme riche ou Zachée le publicain. Leur richesse les aveugle, bouche leur horizon. Aussi ce n’est pas pour rien que Jésus recherche le dialogue avec eux pour leur ouvrir de nouveaux espaces, non pas tant en leur disant d’oublier leur fortune qu’en les amenant à ouvrir les yeux sur les pauvres auxquels ils n’ont jamais prêté attention. Le premier refuse d’ouvrir les yeux et repart, tout triste, prisonnier de sa fortune. L’autre ouvre les yeux et retrouve sa liberté et sa joie.
« Va » dit-il à la femme adultère ; et par là-même il lui ouvre le chemin d’une nouvelle liberté. “Va en paix , ta foi t’a sauvée” dit-il à la femme qui lui avait lavé les pieds. Et la Samaritaine va d’elle-même annoncer aux autres sa rencontre avec Jésus. Elles s’en vont toutes sur une nouvelle route.
L’épilogue de tout cela : c’est Jésus qui l’écrit sur le sable. On ne sait quoi, mais on peut croire qu’il a écrit ce supplément d’amour qui manquait à la loi des scribes et des pharisiens et qu’il nous appelle à vivre et à répandre autour de nous.
Frère Patrice