À l’heure où Jésus passait de ce monde à son père, il disait à ses disciples : « Je m’en vais maintenant auprès de celui qui m’a envoyé, et aucun de vous ne me demande : ‘Où vas-tu ?’ Mais, parce que je vous ai parlé ainsi, votre cœur est plein de tristesse.
Pourtant, je vous dis la vérité : c’est votre intérêt que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. Quand il viendra, il dénoncera l’erreur du monde sur le péché, sur le bon droit, et sur la condamnation. Il montrera où est le péché, car l’on ne croit pas en moi. Il montrera où est le bon droit, car je m’en vais auprès du Père, et vous ne me verrez plus. Il montrera où est la condamnation, car le prince de ce monde est déjà condamné. »
Jean 16, 5-11
Depuis longtemps, cet extrait de l’évangile de Jean m’interpelle profondément.
On peut s’arrêter sur le temps historique où Jésus prononce ce discours : il va être jugé comme blasphémateur, condamné à la crucifixion avec les pires des pécheurs, et il annonce à l’avance à ses disciples (qui jusque là ne comprennent pas grand chose à la vie de Jésus…) qu’au-delà de cette mort infamante, il sera glorifié par son Père, justifié en plénitude par sa résurrection et par tous les signes et les efforts d’évangélisation qu’accompliront par la suite ses disciples enfin éclairés par l’Esprit Saint.
Mais j’aime aussi aller plus loin dans la lecture de cet évangile, le transposer à l’époque à laquelle nous vivons. Je lisais tout à l’heure une belle homélie de frère Elie, aujourd’hui 7 mai 2013, dont voici un extrait :
“Certes, Jésus a donné à ses disciples l’essentiel de la révélation ; mais c’est l’Esprit qui les introduira à la plénitude de sens de ses paroles et de ses gestes. Seulement, pour accueillir cette vérité, il faut être aussi en vérité avec soi-même. Voilà pourquoi avant de conduire les disciples «jusqu’à la vérité toute entière », l’Esprit fera la vérité en eux.”
C’est, je trouve, un bel éclairage pour notre propre vie spirituelle. Car il y a parfois une sorte d’orgueil à se proclamer chrétien, et comme disciple du Christ, détenteur de la vérité tout entière. On adopte plus ou moins profondément le Christ, et du coup on pense partager avec lui la vérité suprême sur toute chose, en argumentant au besoin qu’on a reçu l’onction de l’Esprit Saint au baptême puis aux autres sacrements, et qu’on ne peut donc pas se tromper. C’est un peu facile. Que d’intolérance une telle option intellectuelle n’engendre-t-elle pas ! Je dois dire que ces dernières années, au gré des forums catholiques ou d’autres confessions chrétiennes sur lesquels je me suis arrêtée bien plus pour y lire que pour contribuer, j’ai croisé des personnes qui, avec un aplomb extraordinaire, justifiaient toutes leurs idées parfois les plus bassement humaines par une prétendue onction de l’Esprit Saint.
Or il est bon de méditer ce que dit ici frère Elie : Voilà pourquoi avant de conduire les disciples «jusqu’à la vérité toute entière », l’Esprit fera la vérité en eux.
Et quand l’Esprit fait la vérité dans une âme, c’est tout sauf une liesse exubérante dans les mouvements charismatiques ou pentecôtistes par exemple. C’est bien plutôt passer au creuset de la souffrance en prenant conscience de l’infini décalage entre nos pensées humaines et les pensées de Dieu. Comme l’écrivait très justement Elisabeth de la Trinité, désireuse de se rapprocher encore du Seigneur dans l’oraison et de se préparer à sa future vie de carmélite :
“Brise, brûle, arrache tout ce qui te déplaît en moi !”
Oui, accepter que l’Esprit Saint fasse la vérité en nous, c’est d’abord se renoncer beaucoup, se laisser “raboter” autant que le Seigneur le voudra, se connaître suffisamment pour discerner en quoi on a pu ou on peut encore se compromettre avec le monde (tel que l’entend saint Jean), c’est accepter qu’il nous enseigne une vérité qui nous surprendra forcément, et qui ira très rarement dans le sens de nos penchants naturels.