Laurent Schlumberger a été élu ce samedi (11 mai 2013) premier président de la nouvelle «Église Protestante Unie de France, communion luthérienne et réformée» lors du premier synode national de cette instance à Lyon.
LE FIGARO – Qui sont les protestants réformés et les protestants luthériens?
Laurent SCHLUMBERGER – Les protestants réformés et luthériens insistent plus que d’autres sur l’accueil de Dieu qui aime l’homme sans aucune condition. Deuxième conviction, ils pensent que la lecture de la Bible nous met debout. La Bible est une inspiration, elle n’est pas un code de la vie comme il y aurait un code de la route. Elle suscite notre réflexion individuelle et collective, notre interprétation. La lecture de la Bible nous rend acteur, sujet, responsable. Nous sommes, troisième conviction, habitués à passer par les autres: une communauté, une paroisse, ne vit pas toute seule, elle est très liée aux autres. De même un pasteur n’est jamais seul, il est toujours inséré dans un conseil. Il ne s’auto- décrète pas pasteur. Ainsi le synode qui est la réunion des délégués des paroisses est le lieu où nous élaborons ensemble notre réflexion. Enfin, nous sommes attentifs à une certaine sobriété. Spirituelle d’abord: on n’est pas toujours très à l’aise dans les débordements échevelés. Nous avons une spiritualité intérieure. Sobriété aussi dans notre style de vie: nous sommes attentifs et réservés face aux mirages de la puissance, de la finance, du paraître.
Quelle est la différence entre un réformé et un luthérien?
Aujourd’hui il n’y a pas de différences de doctrine mais seulement de styles. Sur la manière de comprendre l’autorité dans l’Eglise: les luthériens sont plus attachés à la figure de l’équivalent de l’évêque – appelé ‘inspecteur ecclésiastique’ parce que Napoléon n’a pas voulu qu’il s’appelle ‘évêque’ – alors que les réformés sont plus attentifs à la dimension des collèges et assemblées élues. Il y a des différences de styles liturgiques. Pendant ce synode nous avons deux temps de débats forts: l’un sur la manière de célébrer la liturgie d’ordination des pasteurs et nous avons constaté une différence luthérienne et réformée ; l’autre sur la fin de vie et bien malin celui qui aurait pu dire qui était luthérien et réformé dans les prises de positions…
Pourquoi une union aujourd’hui?
L’union est le fruit du mouvement œcuménique dont la philosophie tient en deux mots: la mission d’abord, les identités confessionnelles ensuite. Si cela se fait maintenant c’est parce que le monde a changé. Les protestants ont été pendant plusieurs siècles un petit troupeau qui recherchait l’entre soi, la pureté. Ils se serraient les coudes avec une identité très forte. Ils se distinguaient des autres et s’appuyaient contre le catholicisme. Ce monde a disparu. Les cultes, catholicisme compris, sont minoritaires. Etre protestant ne peut plus se vivre en s’appuyant contre un autre culte. Les protestants doivent donc apprendre une autre manière d’être Eglise. Ils doivent aller à la rencontre de leurs contemporains, devenir témoins, exposer ce qui les fait vivre en osant s’exposer eux-mêmes. Si l’union se fait maintenant et de façon unanime c’est parce que les mentalités sont mûres. Elles ont saisi l’enjeu de ces évolutions.
Ce regroupement pourrait être pourtant être le signe d’un déclin?
Dans les lieux de terroir protestant touchés par des évolutions démographiques et économiques, le protestantisme recule, voire disparait. Dans beaucoup d’autres endroits, il y a en revanche un renouvellement profond et une croissance numérique. Nous avons par exemple un grand nombre d’étudiants en théologie et de pasteurs. Le protestantisme luthéro-réformé est en pleine recomposition. Il y a probablement, autre exemple, 20 % des membres de notre Église qui ne sont pas issus d’elle et qui arrivent de l’extérieur. La proportion est plus forte encore chez les pasteurs.
Cette union s’explique-t-elle comme une réaction à la montée des évangéliques?
Il y a toujours eu des évangéliques dans nos Églises luthéro-réformés. La création de l’Église protestante unie n’est donc pas une réaction à la montée des évangéliques. Il y a plutôt une source nouvelle qui touche tout le monde, les évangéliques mais aussi l’Église catholique avec la nouvelle évangélisation et nous également qui y répondons par cette union. Cette source c’est la prise de conscience que les affiliations sont désormais individuelles et fluctuantes. Plus personne ne veut d’institution qui dicte ou qui délimite. Il y a donc une pluralité spirituelle que nous ne connaissions pas il y a encore une génération et demie. Nos contemporains sont à la recherche de témoins et non d’institutions qui encadrent. Notre union est un fruit de cette évolution. Mais notre réponse n’est pas identitaire. Souvent, mais pas toujours, la poussée évangélique ou ce qui touche à la nouvelle évangélisation catholique est identitaire. Nous, nous refusons l’identitaire. Nous affirmons l’hospitalité en faisant vivre, au sein d’une même Eglise, deux traditions de styles différents.
Qu’est-ce que cela va changer concrètement?
Les implantations luthériennes et réformées, sont très différentes géographiquement, il ne va donc pas y avoir de changements notoires sur le terrain. Le changement est surtout dans une seule gouvernance nationale. Cela va aussi nous obliger à nous réinterroger sur nos propres convictions à la lumière des positions des autres. Cette hospitalité provoque une sorte d’entrainement, au sens sportif, à mieux partager nos convictions.
Combien pesez-vous désormais?
1000 responsables, pasteurs et présidents de conseils ; 10.000 animateurs de la vie paroissiales locales ; 110.000 militants qui cotisent régulièrement ; 250.000 participants à la vie de l’Eglise ; entre 400.0000 et 500.000 qui font appellent aux services de l’Église protestante unie pour des baptêmes, mariages, enterrements.
Pourquoi les Alsaciens ne font pas partie de l’union?
Le régime des cultes rend impossible cette union. Cela n’empêche d’avoir beaucoup de chantier commun. Il y a une communion à 100 % avec eux. Mais l’union entre luthérien et réformés qui existe là-bas n’est pas une véritable union comme la nôtre, ces Églises ont été obligées de créer une superstructure commune mais elles gardent leur identité. Il faudrait changer la loi pour réaliser une véritable union et le terrain n’est pas propice. Il y a, de plus, une identité protestante très particulière en Alsace avec une histoire propre, une démographie, une langue, une culture, que tout le monde respecte comme telle.
Y-a-t-il eu des réticences fortes contre le montage de cette nouvelle Église?
Il y a des peurs de la part de la minorité luthérienne à Paris qui craignait de se voir absorbée et de perdre son identité. Nous avons pris le temps de bien expliquer notre projet pour éviter ce risque mais nous avons pris des dispositions spécifiques pour protéger les minorités: une clause suspensive permet à une minorité de conserver un aspect important d’une identité si elle était remise en cause. Nous avons aussi doublé la représentativité des minorités dans les instances. Aujourd’hui, alors que nous célébrons l’union à Lyon plus de 90 % des paroisses ont déjà adopté le nouveau nom et elles ont toutes adaptés leur statut. Dans le passé, plus d’union signifiait souvent plus de divisions et de dissidences. Or, pour la première fois, toutes les paroisses sont entrées dans l’union.