L’un des Douze, Thomas (dont le nom signifie : Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Thomas lui dit alors : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Jean 20, 24-29
Je me souviens très bien que quand j’étais petite, à la messe du dimanche suivant la fête de Pâques, j’étais peinée, presque agacée par cet évangile. Je vivais toujours très intensément la semaine sainte et le temps pascal, le jour de Pâques était une vraie joie, la chorale chantait bien, nous avions le droit de mettre nos vestes de printemps, la nature sortait de sa torpeur hivernale, et moi j’avais la joie de la résurrection du Seigneur au coeur. Quand les évangiles de la résurrection étaient lus, je voyais les lieux en moi, je suivais pas à pas Marie-Madeleine, Pierre et Jean, mon coeur courait avec eux vers les disciples pour leur dire que Jésus avait quitté son tombeau en laissant là son linceul.
Et puis arrivait ce Thomas qui ne voulait pas croire. Il me laissait perplexe. Comment un disciple qui avait suivi Jésus sur les routes pendant des années, qui était l’ami des onze autres, pouvait-il douter ainsi de leur témoignage et de celui de Marie-Madeleine ? Comment un disciple qui avait eu la chance insigne de vivre aux côtés de Jésus, en son temps historique, pouvait-il réclamer des preuves visibles et sensibles pour croire en ce que le Seigneur avait pourtant annoncé de son vivant, comment ce disciple si proche du Christ pouvait-il avoir moins de foi que la petite fille que j’étais, et qui n’avait pourtant jamais eu le bonheur de voir le Christ de ses yeux ?
J’en voulais à Thomas, je voulais lui dire, moi aussi, avec un peu d’amertume : “Sois croyant !”
Dieu sait toujours ce qu’il fait dans un coeur, et s’Il m’a donné cette immense foi confiante dans mon enfance, qui n’avait besoin ni de voir, ni de toucher, c’était sans doute pour me préparer à ne pas aller jusqu’aux exigences de Thomas quand je traverserais moi aussi pendant quinze ans, plus tard, la nuit de la foi. Non, jamais je n’ai sommé Dieu de se montrer ni de se laisser toucher par moi. Jamais non plus je ne lui ai réclamé de preuves scientifiques de son existence. J’ai suivi le chemin que m’avait tracé le curé de mon enfance quand je lui avais confié dans les larmes que j’avais perdu la foi, à 18 ans.
“Véronique, tu retrouveras le Christ dans les autres.”
Et je l’ai si bien cherché et retrouvé dans les autres qu’Il m’a ensuite comblée de grâces au centuple, mais jamais je ne l’ai vu, même si j’ai traversé des périodes où cette absence de son visage visible me torturait le coeur, comme l’exprimait saint Jean de la Croix dans son Cantique Spirituel (strophes 10 et 11) :
À mes angoisses pourvoie,
Puisqu’il n’est personne qui m’en débarrasse ;
Que mes yeux enfin te voient,
Lumières nées de ta face ;
Et je veux que pour toi seul, usage ils fassent !
Découvre-moi ta présence,
Et que me tue la vision de ta beauté !
Comprends que cette souffrance
D’amour, rien ne peut l’ôter,
Sinon ton visage et notre intimité.
Le Seigneur m’a donné de dépasser aussi cette étape de grande détresse spirituelle. Il me comble aujourd’hui au-delà de mes espérances. Et je sais que le jour où je découvrirai son merveilleux visage, mon coeur exultera de joie.
Traduction du Cantique Spirituel : http://www.carmel.asso.fr/Traduction-contemporaine-du-poeme.html
Image : ‘Lincrédulité de saint Thomas” Duccio di Buoninsegna XIIIe – XIVe