Nous nous retrouvons aujourd’hui, avec la Vierge Marie, Notre-Dame du Mont Carmel, au pied de la Croix de Jésus : « Là se tenait sa mère », forte dans la foi. Déjà lors de la Visitation, l’évangéliste saint Luc avait mis en relief la foi de la Vierge Marie. En effet, il nous rapportait que sa cousine Élisabeth l’avait accueillie en proclamant à son sujet : « Bienheureuse celle qui a cru ! » À présent, c’est l’évangéliste saint Jean qui nous montre la foi de Marie. Tout est en train de s’écrouler autour d’elle : comment la promesse de Dieu annoncée par l’ange Gabriel pourrait-elle bien s’accomplir, puisque Jésus est en train de mourir sur la croix ? Pourtant, dans le silence, Marie tient bon dans la foi en la promesse de Dieu. En m’appuyant sur l’encyclique que notre Pape François vient de nous offrir – Lumen fidei, la lumière de la foi – je voudrais méditer avec vous, en ce jour, sur le chemin de foi de la Vierge Marie, afin d’éclairer notre propre chemin de foi.
Dans son encyclique, le Saint Père souligne que la foi n’est pas seulement ce qui nous tourne vers Dieu, ce qui nous tourne vers Jésus. La foi c’est cela, bien sûr, mais c’est aussi une union à la personne du Christ. En effet, écrit-il, « la foi non seulement regarde vers Jésus, mais [elle] regarde du point de vue de Jésus, avec ses yeux : elle est une participation à sa façon de voir » (n. 18). Quelle est cette façon de voir de Jésus ? Au jardin de Gethsémani, il a réaffirmé dans quelle attitude il désirait vivre le chemin du Calvaire : « C’est pour cela que je suis venu à cette heure : Père, glorifie ton Nom » (Jn 12, 27), « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse » (Lc 22, 42). Ce regard sans cesse tourné vers le Père, qui constitue une attitude de foi (de confiance, de remise entière de soi-même), est l’attitude qui fut celle de Jésus tout au long de son existence. Comme homme qui est Fils de Dieu, Jésus nous montre en effet ce qu’il en est de la vie lorsqu’elle est pleinement vécue en communion avec le Père. Et c’est cela que Dieu désire aussi pour chacun de nous. Revenons au pied de la Croix : nul raisonnement ne peut permettre à la Vierge Marie de comprendre ce qui se passe. Mais la foi lui fait comprendre, dans l’obscurité, que le salut de Dieu est mystérieusement en train de s’accomplir. Par la foi, elle porte, sur des événements incompréhensibles à vue humaine, le même regard que Jésus : un regard qui croit que Dieu est fidèle à sa promesse.
Ce regard de foi, qui reconnaît l’œuvre de Dieu malgré les apparences contraires, est capable aussi d’une attention particulière envers les autres. Lors de l’Annonciation, la Vierge Marie reçoit la révélation d’un événement inouï dont elle est appelée à devenir la protagoniste : en elle, le Verbe se fait chair. Pourtant, presque instantanément, elle s’oublie elle-même et porte le regard de son cœur vers la demeure de sa cousine Élisabeth, qu’elle s’empresse de rejoindre, afin de se mettre à son service. Son regard de foi, qui lui donne de regarder déjà les personnes de la même façon que Jésus les regardera, lui fait deviner ce dont sa cousine a besoin. C’est ce regard que Jésus lui-même portera sur ceux qu’il rencontrera. Par exemple, le regard de Jésus se pose sur les malades et voit plus loin que l’infirmité qui les paralyse encore. Jésus nous regarde en nos jours de faiblesse, et il a confiance en notre désir de nous en sortir, avec son aide, comme lorsqu’il demandait à l’aveugle de Jéricho : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Seigneur, que je recouvre la vue » (Lc 18, 41). Le regard de Jésus se pose aussi sur les personnes en recherche de Dieu, et, plein de promesses, il invite à aller de l’avant. Jésus croit que nous sommes capables de mettre en œuvre les grands désirs que Dieu nous inspire, comme lorsqu’il se penchait sur le jeune homme riche : « Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. Et il lui dit : ‘Viens, suis-moi’ » (Mc 10, 21). Le regard de Jésus, enfin, se pose sur les pécheurs. Il sait que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive. Porteur de pardon, son regard nous relève, car Jésus croit qu’un nouveau départ est toujours possible, avec lui, comme lorsqu’il affirmait à la femme adultère : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus » (Jn 8, 11).
De l’Annonciation jusqu’au pied de la Croix, dans l’attente de la Résurrection et de la venue de l’Esprit, la Vierge Marie tourne vers Dieu, pose sur les personnes et les événements, un regard de foi, un regard qui ressemble à celui de Jésus. Et nous, comment pourrons-nous à notre tour apprendre à entrer dans le regard de Jésus, un regard de foi tourné vers Dieu et vers toute personne ? La Vierge Marie « conservait dans son cœur tout ce qu’elle écoutait et voyait, de façon à ce que la Parole portât du fruit dans sa vie » (n. 58). Ainsi, aujourd’hui, Notre-Dame du Mont Carmel nous rappelle que la foi grandit à partir de l’intérieur de nous, dans le secret du cœur, dans l’entretien intime et familier avec la Parole du Seigneur : là, s’exerce le regard de la foi, un regard qui apprend à voir toute personne, tout événement, avec le regard de Jésus.
N’est-ce pas une attitude qui ressemble à ce que, au Carmel, sous le patronage de la Vierge Marie, nous appelons, à l’école de sainte Thérèse, l’oraison ? En effet, dans son livre des Demeures, sainte Thérèse nous apprend à découvrir, par l’oraison, par la prière silencieuse, que la vérité la plus profonde de toute personne, c’est la présence de Dieu en nous, une présence lumineuse, qui donne à chacun de nous beauté et dignité : rien ni personne ne peut faire disparaître cela. Nous ne sommes pas vides au-dedans : nous portons en nous tout un monde intérieur au cœur duquel Dieu lui-même demeure. La plupart du temps, nous n’en sommes pas particulièrement conscients, mais la foi nous l’enseigne, la foi nous le rappelle. Eh bien, c’est à partir de ce centre, à partir de cette profondeur, que le Seigneur nous appelle à vivre. Non pas vivre et réagir à partir de la superficie de ce que nous voyons en nous et chez les autres, mais vivre et agir en relation avec la dimension profonde qui est celle de toute personne, au-delà de nos échecs, de nos aspérités, de notre péché. Ce regard plein de respect, de considération et d’espérance, c’est celui que Jésus a posé sur tous ceux qu’il rencontrait, c’est celui qu’il pose sur chacun de nous. C’est un regard qui vise, dans la foi, la vérité la plus profonde de chacun de nous : nous sommes la demeure de Dieu, Dieu est à l’œuvre en nous et à travers nous. Le chemin de l’oraison, de la prière silencieuse, alimentée par la fréquentation des Écritures et la recherche de la présence de Dieu, nous fait entrer toujours plus avant dans la manière d’être et de faire de Jésus. Notre regard devient alors toujours un petit peu plus son regard. Nous apprenons à vivre et à agir toujours un petit peu plus en communion avec Lui.
En union avec notre Pape François qui nous enseigne, « tournons-nous vers Marie, Mère de l’Église et Mère de notre foi, en priant : Ô Mère, aide notre foi ! Ouvre notre écoute à la Parole, pour que nous reconnaissions la voix de Dieu et son appel (…) Aide-nous à nous confier pleinement à Lui, à croire en son amour, surtout dans les moments de tribulations et de croix, quand notre foi est appelée à mûrir (…) Enseigne-nous à regarder avec les yeux de Jésus, pour qu’il soit lumière sur notre chemin. Et que cette lumière de la foi grandisse toujours en nous jusqu’à ce qu’arrive ce jour sans couchant, qui est le Christ lui-même, ton Fils, notre Seigneur ! » (n. 60). Amen.
fr. Anthony-Joseph de Sainte Thérèse de Jésus, ocd
Source : http://www.carmel.asso.fr/Homelie-pour-ND-du-Mt-Carmel-16-juillet-2013.html