Sagesse 18, 6-9
Psaume 32
Hébreux 11, 1-2.8-19
Luc 12, 32-48
Homélie de monsieur l’ abbé Jean-Bernard Hayet, curé de la paroisse Saint Joseph des Falaises-Bidart.
“Restez en tenue de service, et gardez vos lampes allumées” : n’avons-nous pas dans ces Paroles de Notre Seigneur Jésus Christ tout simplement le résumé de notre vie chrétienne ? Servir et veiller !
Veiller et se tenir prêt!
Servir le Dieu qui S’est fait Serviteur !
Veiller activement dans l’attente de Son Retour car, à l’Heure où nous n’y penserons pas, Il viendra, Il reviendra dans la Gloire pour juger les vivants et les morts : il n’ y a rien de plus vrai, de plus sûr et de plus certain ! “La pensée de notre vie future ne doit jamais nous quitter – disait le Pape Paul VI (+ 6 août 1978) – ; le message de l’ Evangile en est imprégné ; la vision dite eschatologique, c’est-à-dire des réalités dernières, est toujours présente dans l’enseignement de Jésus, au point de constituer un élément essentiel et ultime de Son message de Salut. Cette perspective est trop souvent oubliée, même par beaucoup de ceux qui se disent chrétiens. L’actualité nous absorbe. Seul le présent semble compter… C’est une des conséquences de la sécularisation, de l’horizontalisme, de “l’actualisme”, de l’incrédulité. Mais ici, il faut bien faire attention : le chrétien lui aussi vit dans le temps. Il doit faire grand cas du temps avec tous ses devoirs et ses valeurs ; il doit même en faire plus cas que les autres” (Pape Paul VI. Audience générale du 7 janvier 1970). Oui, mes frères, c’est dans le temps que se décide le sort de notre destinée éternelle d’où l’appel, la consigne de Jésus : “Restez en tenue de service, et gardez vos lampes allumées !”.
“L’homme sur terre, doit veiller, car il ne peut pas ne pas se soucier de l’avenir. Sans doute, l’animal veille aussi, surtout s’il s’agit d’un prédateur, toutefois il n’a pas le sens de l’avenir. Il n’a que le sens de la proie ou de la menace dont il est l’objet. En revanche, l’homme veille, sachant qu’il a un grand avenir devant lui” (Cardinal Carlo Maria Martini. Miettes de la Parole. Editions Saint Augustin. 1998. Page 180). Jésus nous projette vers cet Avenir avec un grand “A” : “Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces…”.
Le grand écrivain russe Léon Tolstoï – qui s’éteignit le 20 novembre 1910 à l’âge de 82 ans – raconte l’histoire d’un roi qui convoqua un jour les prêtres et les sages de son royaume et leur demanda de lui montrer Dieu. Personne ne fut en mesure de satisfaire son désir sauf un homme : il revenait des champs et se proposa d’acquiescer à la demande du roi. “O Roi -lui dit-il-, tu veux voir Dieu ? Pour répondre à ta demande nous devons échanger nos vêtements”. Avec hésitation – un peu stupéfait -, mais poussé par la curiosité, le roi consentit à la demande du pauvre paysan : il remit ses vêtements royaux et magnifiques à notre homme et se fit revêtir du simple habit – pas très net !- du pauvre. A ce moment-là, le paysan déclara au roi : “Voici qui est Dieu et voici ce qu’Il a fait!”. Cette histoire, mes frères, dit vrai : dans Son immense Amour pour les hommes, Dieu a tout laissé, Il a quitté Son Royaume pour venir sur terre, Il a abandonné Sa splendeur Divine ; Il S’est dépouillé de tout, Il a pris la condition de serviteur, Il S’est abaissé jusqu’à la mort de la Croix (Philippiens II, 6) : c’est ce que les Pères de l Eglise appellent l’admirable échange – Sacrum commercium – : le Seigneur S’est fait serviteur ! “Jésus – dira le Bienheureux Charles de Foucauld (+ 1er décembre 1916) – a tellement pris la dernière place que jamais personne n’a songé à la Lui reprendre”.
“Toi qui as été baptisé, tu as revêtu le Christ ! : c’ est ce que la Mère-Eglise proclame et chante lorsqu’elle accueille un tout-petit en son sein au jour de son baptême ! Elle reprend, mot pour mot, les paroles que Saint Paul adressait aux Galates (III, 27-29) : “Vous tous que la Baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ… vous ne faites plus qu’un avec le Christ… vous appartenez au Christ”. Voilà donc, mes frères, ce qui s’est passé pour vous et pour moi – et qui continuera de se passer à chaque Baptême – nous avons revêtu le Christ : Il nous a donné Ses vêtements – non pas un smoking ou une robe de gala – mais la tenue du service qu’avant nous Il a choisie librement de porter : c’est inouï de penser à cela et de nous le redire en ce jour, alors qu’à l’instant Jésus vient de dire à chacun : reste en tenue de service !
Toi qui as été baptisé, tu as revêtu le même “habit” que ton Seigneur : tu es entré dans une Communion existentielle avec Lui ; Son Être et le tien ne font plus qu’un ; Son Être et le tien confluent, s’interpénètrent réciproquement (Cf. Homélie du Pape Benoit XVI. Messe chrismale du jeudi 5 avril 2007 à Saint Pierre de Rome).
Jésus attend de nous – qui que nous soyons – que nous nous comportions non pas comme des “petits chefs arrogants”, non pas comme des despotes ou des dictateurs qui font sentir leur pouvoir – de tout cela il n’y en a que trop de par le monde ! – (Saint Matthieu 20, 26-27) : Il nous demande d’être de ces serviteurs humbles, discrets, effacés, réceptifs, qui ne “fanfaronnent pas”, qui ne crânent pas, qui n’éclaboussent pas mais qui n’ont qu’ un but : accomplir leur devoir de chaque jour – aussi modeste soit-il – et faire ainsi la Joie de leur Maître Bien-Aimé (Saint Luc 17, 10).
L’abbé Maurice Zundel (+ 10 août 1975) disait que si nous étions vraiment axés sur la Personne de Jésus nous nous agenouillerions tout autant devant l’Eucharistie ou devant le Pape qui Le “représente” mais aussi devant le mendiant qui sollicite une aide : “Le Pape est le vicaire de Jésus Christ incontestablement dans sa fonction sacerdotale… doctrinale, mais le mendiant est tout autant à sa manière le vicaire de Jésus Christ et le petit enfant est tout autant à sa manière le vicaire de Jésus Christ… Quelle est notre tâche en salle d’hôpital, en salle de classe, dans la rue, à la cuisine, à la cave ? Nous sommes là pour être Jésus… Depuis l’ Ascension Jésus est devenu invisible. Il ne peut apparaître aux hommes qu’à travers notre visage. Quand nous hésitons, que nous avons de la peine, que nous trouvons que c’est difficile, que nous sommes épuisés, tentés, c’est cela qui nous rendra notre courage : “Je ne suis pas là pour moi. Je suis là pour Lui.” Être chrétien, c’est être Jésus” (Maurice Zundel. “Je parlerai à ton cœur”, Editions Anne Sigier. 1990. Pages 233-234).
Pour nous, il n’y a rien de mieux que le Christ : Lui seul nous explique Dieu (Saint Jean 1, 18), Lui seul nous montre le Visage réel de Dieu (Saint Jean 14, 9) et nous dit comment nous devons cheminer sur cette terre avec pour objectif le Royaume Eternel ! “La Foi dans le Fils de Dieu fait Homme… ne nous sépare pas de la réalité, mais nous permet d’ accueillir son sens le plus profond, de découvrir combien Dieu aime ce monde et l’oriente sans cesse vers Lui ; et cela amène le chrétien à s’engager, à vivre de manière encore plus intense sa marche sur la terre” (Pape François, Encyclique “Lumen fidei” n° 18). Que l’on soit riche ou pauvre, marié ou célibataire, manuel ou intellectuel, dans sa cuisine ou dans un cloître, sous une cornette, une soutane, un costume trois pièces ou un bleu de travail, toutes les occasions sont bonnes pour rester en tenue de service : le Seigneur ne nous demande pas de glander, de glandouiller, de perdre du temps ou de “feignasser” ; Il nous demande de semer, de répandre, de diffuser partout nos bonnes œuvres, ces œuvres que Lui, le Fils de l’Homme viendra récolter à “l’Heure” où nous n’y penserons pas : il n’y a donc pas une minute à perdre ! “Lorsqu’on allume une lampe, sa lumière se répand précisément parce qu’elle a été allumée. De même le chrétien est un homme en qui la Foi a été allumée… Il est par le fait même quelqu’un qui répand sa lumière, sa Foi” (Pape Paul VI, Audience générale du 18 octobre 1972).
A quelques heures de fêter l’Assomption de la Très Sainte Vierge Marie, il nous est bon de nous redire que le seul titre dont Elle se soit glorifiée c’est celui de “Servante du Seigneur” (Saint Luc 1, 38); pour Elle – Marie “servir” n’était pas une parole en l’air mais une réalité, le programme de toute Sa vie, l’orientation fondamentale de Son Cœur d’enfant, de jeune fille, d’épouse et de mère : de Nazareth à Bethléem, de Bethléem à Jérusalem, Elle a sans cesse ouvert l’ espace de Sa vie et de Son Cœur à Dieu! Lorsque nous nous tournons vers la Sainte Vierge, notre Espérance est ravivée : Elle est une créature comme vous et moi, membre de notre humanité et, en Elle, nous contemplons la Gloire que Dieu promet à ceux qui répondent à Son appel. Elle est, Marie, “infiniment riche parce que infiniment pauvre, infiniment grande, parce que infiniment petite, la plus près de Dieu parce qu’Elle est la plus près des hommes” (Charles Péguy, “Le porche du mystère de la deuxième vertu”, Gallimard 1911. Pages 68-91).
Tout au long des siècles, dans de nombreux endroits de la terre -au Mexique (le 9 décembre 1531), à Paris (rue du Bac, le 18 juillet 1830), à la Salette (le 19 août 1846), à Lourdes (le 11 février 1858), à Pontmain (le 18 janvier 1871), à Fatima (le 13 mai 1917), au Rwanda (à Kibeho, le 28 novembre 1981) Elle n’a de cesse de répercuter Son appel lors des noces de Cana : “Faites tout ce que Jésus vous dira !” (Saint Jean 2, 5). Et que nous dit-Il, en ce jour, le Fils de Marie ? :
“Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées !”.
Oui – nous dit Marie, l’humble Servante du Seigneur – toi qui portes le nom de chrétien, toi qui as revêtu Mon Fils, en avant, coûte que coûte :
Crois et sers !
Aime et sers !
Espère et sers !
Prie et sers !
Si le Maître, à son arrivée, te trouve ainsi, heureux es-tu !
Je te le dis : Il prendra la tenue de service, te fera passer à table et te servira !
Garde ta lampe allumée :
Sers ! Sers ! Sers !
Amen.