Culte du dimanche 26 août 2012 à l’Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
( Luc 9, 46-62 )
Six conseils de Jésus pour éviter d’être intégriste (valables aussi pour les athées)
Ce 440e anniversaire du massacre de la Saint Barthélemy nous donne encore une fois l’occasion de nous étonner de l’existence de violences religieuses.
Heureusement que la foi n’a pas produit que des massacres, elle a également produit et elle produit tous les jours des fruits d’une merveilleuse bonté et créativité. Mais il est très étonnant, compte tenu des idéaux portés par l’Évangile, qu’il existe de la violence religieuse. Puisque Dieu est la source ultime de la vie, il est paradoxal que la foi en Dieu puisse parfois produire de l’intolérance, de la haine, et même des massacres.
Il serait malhonnête de dire que la foi ou la religion ont le monopole de la violence, ni même qu’elles surpassent d’autres formes de pensées dans ce domaine. Les plus grands massacres commis dans l’histoire de l’humanité, et particulièrement au XXe siècle, ont été commis pour bien d’autres raisons que religieuses. Les massacres de Mao, Staline, Hitler, Pol-Pot, ou du Rwanda… n’étaient associés à nulle discussion théologique, que je sache.
Et bien souvent, quand la religion a une place dans la violence, c’est qu’elle est mêlée à de la politique ou à des luttes de pouvoir, comme pour le massacre de la Saint-Barthélemy. Il est motivé en partie par des questions de politique intérieures et internationales et par des questions de pouvoir personnel. Mais la Saint-Barthélemy est motivée en partie, il faut le reconnaître, par des questions religieuses, avec de virulents débats d’idées qui ont produit des bibliothèques entières de controverses théologiques.
C’est étonnant que l’on puisse en venir au meurtre pour des idées ou des questions de foi, non ? En quoi les idées et la façon de prier des autres me gêneraient-elles, comment est-ce que de telles question peut faire régresser quelqu’un et le transformer en fou furieux ? Dans le Royaume de France, qu’est-ce qui empêchait les uns de prier à la façon catholique et d’autres à la façon réformée ?
Les causes et l’énergie qui alimentent l’intégrisme sont profondes, elles sont théologiques et psychologiques, et elles ont valables d’une certaine façon pour les croyants comme pour les athées.
Dans cette page de l’Évangile selon Luc, Jésus nous donne des pistes fondamentales pour nous soigner de l’intégrisme. Et ces orientations peuvent non seulement nous aider à être moins intégriste nous-mêmes mais encore à bénéficier d’une foi plus vivante et plus vivifiante, et peut-être même à mieux « encaisser » les critiques, menaces, procès d’intention et autres injures de la part des personnes qui nous attaquent ?
Jésus nous donne 6 conseils dans cette page d’Évangile :
les 3 premiers concernent notre relation aux autres dans le domaine des idées,
les 3 suivants concernent notre propre dynamique de vie à la suite du Christ.
A] Trois conseils pour notre relation aux autres
1) Qu’est-ce qu’être grand ?
Le texte commence avec cette question des disciples pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand.
Jésus répond que le plus grand est celui qui est le plus petit. Cela ressemble à un paradoxe mais c’est en réalité tout simple. Ce qui fait notre grandeur c’est ce qui fait la grandeur d’un enfant. Nous savons bien ce qui fait l’infinie valeur d’un enfant pour nous :
c’est d’abord l’amour que lui portent ses parents et ses frères, l’espérance qu’ils placent en lui.
La valeur d’un enfant, c’est fondamentalement qu’il a la vie devant lui et qu’il est doué d’une croissance naturelle, et qu’il a sa soif d’apprendre.
Mais la valeur d’un enfant n’est ni dans sa force ni dans son savoir ni dans son intelligence, comparée aux adultes. Et le fait de grandir et éventuellement d’être aimé est un cadeau.
Jésus nous propose ainsi une conception de notre grandeur qui bouleverse un principe de fonctionnement très profond que nous partageons avec nos cousins les chiens de meute qui se battent pour être celui qui domine sur les autres. Selon Jésus, nous n’avons rien à faire pour mériter notre grandeur, elle est juste à accueillir, comme on accueille un enfant.
Il y a un lien fondamental entre la notion de notre grandeur et notre théologie. De nombreuses personnes ont une théologie du Dieu tout puissant, immuable, faisant vivre et mourir qui il veut, sélectionnant tantôt selon son arbitraire, tantôt au mérite avec une justice tirée au cordeau. Cette théologie va avec une certaine conception de la grandeur. Dieu est alors « le plus grand » car il est dominant. Cette théologie profite au clergé qui hérite d’une part de cette domination sur les autres. Cette théologie induit une façon de comprendre et de chercher à construire sa propre dignité, en se mesurant aux autres, et en essayant de les surpasser. Cette conception de la dignité humaine n’est pas réservée aux croyants, nous l’héritons avec nos instincts. Jésus nous propose de changer pour la théologie de la grandeur de l’enfant.
Bien des violences sont enfantées par la conception de la grandeur dominante. Par exemple, quand un homme mâle méprise les femmes, il se voit alors dans les 50% des humains les plus grands. S’il méprise en plus les homosexuels, il gagne 5 à 8 % de plus ; s’il méprise les gens un peu plus foncés ou un peu plus clairs que lui, il peut encore gagner 15 % dans sa propre estime, il reste à mépriser ceux qui ont une autre foi, un autre parti, et moins de sous…
Mais mon estime de moi-même est alors basée sur la comparaison avec les autres. Si quelqu’un ridiculise une de mes idées ou une de mes appartenances, cela ruine d’un coup de lourds pourcents d’estime de moi-même, sans compter que celui qui a dominé mes idées m’a dominé, donc humilié. Alors que dans la théologie de la grandeur de l’enfant quand quelqu’un me fait changer d’idée, il m’a grandi.
Pour celui qui est sous la théologie de la domination, si quelqu’un vient remettre en cause cette conception de la grandeur, tout s’écroule pour lui. On comprend le mal qu’a eu Jésus à remettre en cause l’idée d’un Dieu dominateur, en disant, comme ça, comme en passant, que Dieu est amour, qu’il aime et cajole même ses ennemis, qu’il considère de toute façon chaque personne comme son enfant bien aimé. Et voilà même Jésus qui nous dit ici que Dieu est le plus grand, mais pas comme Zeus, plutôt comme un enfant que l’on reçoit au nom du Christ, « le plus grand des plus grands c’est le plus petit, celui qui accueille un enfant en son nom accueille Dieu lui-même ».
Alors, même si nous nous rendons compte que nous avons été mauvais, ou que nous sommes pas bien fort, nous n’avons rien à craindre, oui, nous sommes petit mais comme un enfant. Je suis aimé et promis à une croissance.
Dans cette théologie du Christ, si une autre personne a une pensée ou des habitudes ou une couleur ou un sexe différents, ou a moins de sous, ou trop de sous, ou s’il est pénible…. la différence ou la petitesse de l’autre ne sont en rien une agression à ma propre valeur. C’est la seconde idée que propose Jésus quand ses disciples avouent, un peu gênés, qu’ils ont empêché à un homme de faire du bien parce qu’il le faisait hors du groupe. Jésus répond :
2) Qui n’est pas contre vous est pour vous !
Les disciples avaient dit « Il ne NOUS suit pas », sous entendu, ils ne te suivent pas toi, le vrai Christ, l’envoyé de Dieu (ce qui était vrai), et ils en avaient déduit, dans leur système de pensée, que l’homme devait être neutralisé comme ennemi de Dieu. Logique implacable, non ? Mais Jésus comprend que leur réaction est le symptôme d’une maladie plus profonde. Jésus leur répond : «Qui n’est pas contre VOUS est pour VOUS, ne l’en empêchez pas ». C’est-à-dire que derrière la question de la théologie, ce qui est en question, ce qui est vraiment en question, c’est que les disciples, se sentent personnellement offensés par le fait que l’autre ne les suive pas, EUX. Cela offense leur sentiment de leur propre grandeur, cela les met en danger.
Il faut croire que la première idée que nous a proposée Jésus avait commencé à faire vaciller leur intégrisme, car ils n’avaient pas douté une seconde, avant cela, ils n’avaient rien demandé à Jésus, hop, sus à l’hérétique, c’était une évidence d’être dominant pour rendre gloire à un Dieu qu’ils pensaient être dominateur.
La seconde idée que nous propose Jésus est une bonne piste pour avancer. Quand il nous prend l’envie de remettre en cause le cheminement de quelqu’un d’autre, se demander d’abord : au fond, qu’est-ce qui me gêne ? N’est-ce pas seulement que ce type ne me suit pas ? Que cela offense l’idée que j’ai de moi-même, ou la valeur que je donne à mes idées ? Ou qu’il risque d’attirer des disciples hors de ma chapelle ? Même si mon cercle était à 100% celui de Jésus-Christ lui-même, comme dans ce récit, ce ne serait pas une raison. Sauf si l’autre fait du mal (contre nous, contre les petits, les enfants) ? Alors là, ce serait autre chose. Bref, ce récit nous propose de nous poser à chaque fois la question devant Dieu, devant le Dieu qui accueille les enfants, plutôt que de trancher d’un coup. Peut-être, alors, reconnaîtrons-nous l’enfant là où nous ne voyons qu’un sale type ?
3) Non pour perdre les âmes mais pour sauver
Les disciples ont encore progressé. Maintenant ils méditent devant Dieu et demandent conseil au Christ face au problème de sales hérétiques qui refusent carrément de recevoir le Christ ne serait-ce que de passage. Quelle horreur ! Le problème est qu’ils ont été habitués à une théologie de la terreur. La Bible est pleine d’histoires horribles et une interprétation fréquente est d’y lire l’histoire d’un Dieu dominant qui tue mille personnes pour les éprouver ou pour les punir, ou pour faire place à ses chouchous. Sauf que ça ne tient pas car visiblement la situation échappe sans cesse à ce Dieu qui serait alors pas si dominant que ça. Il est possible d’interpréter autrement ces histoires horribles mais il a été, et il est encore parfois tiré des menaces de morts de ces histoires : si vous marchez ou pensez de travers, Dieu vous fera subir des peines infinies et éternelles. Du coup, cette domination par la violence devient une logique dans l’esprit de croyants sincères, une idée de ce qui est juste, un type de rapport juste avec les autres.
« Vous ne savez de quel esprit vous êtes » avec ces horreurs de foudre descendant du ciel pour tuer les hérétiques, nous dit Jésus. Ce n’est en tout cas certainement pas sous le souffle de l’Esprit de Dieu qui vous anime avec de telles pensées car il est le Dieu qui fait vivre. Et lui, Christ, et nous, fils, filles d’Adam nous sommes là pour sauver les hommes et non pour perdre leur vie. Ces massacres de la Bible ne décrivent pas la mort et les peines éternelles des hérétiques mais au contraire la destruction de la méchanceté dans l’homme, à commencer par notre méchanceté à nous.
Avec cette troisième idée, examinons notre théologie sur le plan de ce critère : est-ce que l’idée que je me fais de Dieu, l’idée que je me fais de ce qui est juste est compatible avec l’amour de Dieu ? Jésus n’excluait personne au cours de sa vie, donc Dieu n’excluera personne de son salut. Le berger dont parle Jésus ne désespère jamais de trouver la brebis la plus perdue du monde et finit par la retrouver (Luc 15), donc Dieu ne désespère de personne. Point de violence en Dieu contre aucun de ses enfants, c’est contre le mal qu’il combat, jamais contre le bonheur et la vie. Et donc nous non plus, normalement. Jésus soigne, enseigne nourrit, reprend, explique. Il râle parfois, mais il cherche encore et toujours le bien.
B] Trois conseils, pour notre propre dynamique
4) Ne pas avoir de lieu où reposer sa tête
Cette remarque de Jésus n’est évidemment pas à prendre au sens littéral puisque Jésus avait des points de chute : à Béthanie chez ses amis Marthe, Marie et Lazare, dans son quartier général à Capernaüm, et nous voyons ici que quand il est en voyage il se préoccupe suffisamment de trouver un logement pour envoyer quelques personnes courir devant. Il s’agit donc bien de comprendre au sens figuré cette idée que le Fils de l’homme n’a pas de lieu où reposer sa tête.
La tête doit continuer à avancer, jamais se reposer sur des certitudes. Attention, nous dit Jésus, à ne pas enfermer notre tête dans une boîte, ni dans une théologie aussi juste soit-elle, ni dans une église, ni dans des sacrements… Sinon, aucun dialogue, aucun écart n’est possible ni avec d’autres ni même avec Dieu sans que nous nous sentions mis en danger dans notre identité, comme Pierre marchant sur l’eau et remarquant que l’eau est profonde (Mat. 14 :30)…
Pourtant nous sommes faits pour évoluer. Les renards ont un habitus de renard, tel oiseau a le comportement de son espèce. Il n’en est pas ainsi pour nous. Chaque fils ou fille d’Adam est appelé à être dans un cheminement propre, en étant prophète. Son identité est dans le fait même de cheminer à sa façon, comme Christ chemine d’une façon unique et personnelle.
La tête doit continuer à avancer sans se reposer sur des certitudes. Il est bon, comme Jésus le fait ici, de chercher des lieux pour faire étape. On peut envoyer des porteurs de paroles, des bribes de théologie, des hypothèses volantes pour chercher un lieu d’étape, une théologie, une pratique qui nous aide un temps à comprendre et à parler. Mais en restant prêt à rebondir. Si cette théologie nous lâche, ce n’est pas si grave, on ira dans un autre lieu théologique, on révisera notre façon de prier, on se lancera dans tel autre type d’actions…. Et en restant prêt aussi pour avancer plus loin, pour monter plus haut quand le temps sera venu.
5) Laisser enterrer les morts et annoncer
Là encore, cette remarque de Jésus n’est pas à comprendre au sens matériel du terme, mais au sens spirituel. Toi, tu n’es pas mort, ne désespère donc pas et va, avec au moins une seule parole tournée vers la vie, comme Dieu appelle à la vie. Oui, le monde est mauvais et mon voisin est méchant… mais il n’est pas mort pour qu’on l’enterre ! L’intégrisme est enraciné dans un dualisme qui fait que ce qui n’est pas tout à fait bon est considéré comme totalement mauvais, mort pour l’éternité. En faisant cela nous nous tuons nous-mêmes, tuant notre espérance, tuant notre amour, tuant les autres, parfois tuant l’idée de Dieu en nous. Alors que personne n’est abandonné par Dieu à la mort, même le plus blessé n’est qu’à moitié mort selon la parabole du bon samaritain (Luc 10, 30). N’enterrons donc pas trop vite, ni nous-mêmes, ni les autres, mais parlons de la vie, saisissons, chérissons, sauvons la vie qui vient de Dieu.
6) Mettre la main à la charrue
Est-ce que Jésus voudrait nous couper de nos proches, de les quitter sans un au revoir pour suivre Jésus ? Impossible car ce n’est pas le style de Jésus qui lui-même voyait sa mère et ses frères et sœurs, ses amis… Mais justement. Il s’agit de voir autrement la relation avec nos proches, croyants ou non. Il ne s’agit pas de les laisser en arrière et de les quitter, mais d’avancer, pour eux aussi. Il s’agit de mettre la main à la charrue, c’est déjà se préparer à l’idée d’ouvrir notre vie, pour labourer l’écorce dure de notre terre, de nos sectarismes, de nos peurs. C’est une question de regard vers l’avant, vers le Christ qui est devant, avec cette envie d’ouverture du monde qu’indique la charrue.
Suivre et ne pas craindre d’ouvrir notre monde, laisser respirer notre terre. Et devenir fils d’Adam, enfant de la terre et du souffle de Dieu.
Image : Le Massacre de la Saint-Barthélemy, François Dubois, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, XVIe
2 commentaires
Je pense que s’il y a autant de haine entre les hommes à cause de la religion, c’est qu’elle organise notre monde, notre manière de voir le monde, nos relations avec autrui.
Cela veut dire que, contrairement à ce que certains d’entre nous croient, nous ne vivons pas dans le même monde que le croyant qui ne partage pas notre foi.
Il s’agit d’une vraie altérité, là, et l’altérité est source de tensions.
La vie serait simple si… nous avions des certitudes. Mais je crois que chaque homme sait… qu’il n’y a pas de certitudes (en dehors de la mort), et que notre condition est celle d’une insécurité fondamentale.
Avec les années, je me vois devenir plus intolérante, plus refermée sur moi-même, surtout par rapport à une certaine culture française/américaine dite “de gauche”.
Plus cette culture devient dominante, plus je me retire afin de l’éviter.
Qui est intégriste ? Pas seulement le frère musulman qui a bon dos en ce moment.
Il est trop difficile pour moi de résister à une marginalisation/fanatisme qui vient en réponse à ce que moi, je vois comme un fanatisme rouleau compresseur en face.
Même les gouvernements légitimes… soi disant “laïcs” représentant une société dite civile qui se croit hostile à la religion peuvent être intégristes, peut-être…
Donc… je me retire de la société autant que possible.
Un tout dernier point : petite Protestante que je suis, je sais qu’il y a eu au moins un grand massacre de catholiques à la hauteur de la Saint Barthélemy. Mais nous n’en savons rien maintenant, car on n’en parle pas (ou peu) dans les manuels d’histoire. Je me demande pourquoi…
Une prédication longue d’un pasteur protestant, mais que je trouve remarquable. A méditer en ce jour anniversaire des massacres de la Saint Barthélemy.
La vidéo du culte est visible ici : http://oratoiredulouvre.fr/predicvideo/six-conseils-de-jesus-pour-eviter-d-etre-integriste-luc-9.html