Matthieu 25, 1-13
7/11/1999, 32 T.O. A
Homélie de l’ Assemblée plénière des évêques
“Alors, le Royaume des cieux ressemblera à dix vierges qui prennent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’Epoux”.
Voici le Règne de Dieu, c’est l’Epoux qui vient, c’est le Messie qui traverse notre histoire. Il nous donne d’avance la joie des Noces ; cette joie est notre vie.
Il est l’Espérance pour le monde ; cette Espérance est notre force.
Car les dix vierges, c’est l’Eglise, c’est nous, les disciples de Jésus. Nous allons au devant de l’Epoux, le Christ, le Sauveur des hommes. Depuis deux millénaires, nous marchons à la rencontre de Celui qui vient vers nous. Il nous invite à l’accueillir pour nous faire entrer avec lui dans la salle des Noces, pour nous faire partager la joie du Festin.
Alors que nous allons célébrer la venue en ce monde du Messie né à Bethléem, de celui que nous nommons Prince de la Paix, pouvons-nous sérieusement tenir ce langage ? Car tant de misères et tant de drames dont les hommes sont la cause ont terni les espoirs des générations successives ; car pour tant d’hommes et de femmes, ce monde semble une nuit aux lumières incertaines. Comment pourrions-nous accomplir la mission que nous donne Jésus d’être “lumière du monde”, d’annoncer l’Alliance de Dieu avec les hommes ?
Pour nous aussi, cette nuit est trop longue. Que fait le Seigneur ? Quand viendra-t-il ? Alors nous nous endormons. Comme s’endorment les disciples à Gethsémani, ne supportant pas de prier avec le Christ en son combat. Nous préférons l’oubli du sommeil, comme ce sont endormis les chrétiens au cours des siècles écoulés.
Nous nous endormons lorsque s’assoupit notre foi, lorsque nous nous demandons si cette Noce n’est pas un rêve ou une illusion; lorsque nous préférons justifier nos mensonges ou nos dérobades par la complicité du silence et de l’oubli, lorsque nous nous enfermons dans l’égoïsme et la suffisance de nos projets au lieu de nous laisser brûler par l’immense amour qui vient de Dieu, lorsque nous devenons sourds aux cris de détresse de nos frères que nous sommes impuissants à secourir.
Mais, dans la nuit, depuis deux millénaires, un cri retentit : “Voici l’Epoux. Sortez pour la rencontre”.
Ce cri nous arrache au sommeil où s’assoupissait notre foi, au sommeil où sombrait notre pauvre amour. Ils se sont réveillés pour aller a la rencontre de l’Epoux, les martyrs des premiers siècles, les missionnaires qui ont semé la parole de l’Evangile en notre pays, puis tant d’autres saints au cours des siècles. A leur parole la foule innombrable des disciples de Jésus s’est mise en route, ils ont évangélisé les générations successives de notre histoire, immense procession de lumière au milieu des ténèbres de la violence et du mépris envers Dieu et envers le prochain, la flamme de leur amour resplendit jusqu’à nous. En cette fin de millénaire, l’Eglise nous invite à faire mémoire du chemin parcouru, à prier pour les pécheurs, à rendre grâce pour les saints. Et nous aussi, nous nous sommes réveillés. Nous voyons en notre siècle se former le cortège des Noces, nous voyons apparaître l’Eglise de notre temps.
Surprenant cortège où se présentent avec leur lampe allumée tant d’hommes et de femmes que nous n’attendions pas, de toutes conditions, de toutes origines, jeunes et vieux, laïcs, consacrés, diacres, prêtres:
– martyrs de la foi à l’Est de l’Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, en nos pays aussi ; chrétiens, chrétiennes qui souvent nous sont demeurés inconnus ;
– témoins de la charité ; ceux dont les noms sont aujourd’hui célèbres et tous ceux que nous ignorons, qui donnent tout par amour de l’Epoux et par amour de leurs frères ;
– messagers d’une espérance inébranlable, qui, par leur prière, ouvrent à la douceur de l’Evangile les coeurs de pierre.
Eux aussi – ces martyrs, ces témoins, ces messagers de notre temps – -crient dans notre nuit : “Voici l’Epoux qui vient. Réveillez-vous. Sortez pour la rencontre ! ”
Ils se sont mis debout, ces enfants de Dieu, parce que – comme les cinq jeunes filles sages – ils avaient pris l’huile sans laquelle la flamme s’éteint : la foi au Christ sans laquelle l’amour s’étouffe et l’espérance meurt.
Ils ont choisi la sagesse et non la folie. La sagesse, c’est de connaître le mystère du Christ, le mystère de la Croix, salut de l’homme. La folie, c’est de juger selon la seule logique humaine ; pour elle, le Crucifié est l’homme vaincu, et non pas l’Amour plus fort que la mort, le crucifié est l’homme humilié et non pas l’Amour qui donne le pardon et la vie.
Ils ont choisi la vraie sagesse. Ils ont choisi le don où l’on ne retient rien pour soi-même, où tout perdre par amour c’est tout recevoir de l’amour.
Et nous aujourd’hui, Eglise de Dieu, quel choix allons-nous faire pour l’avenir ?
Jésus nous prévient que tous, nous nous assoupirons comme s’assoupissent les dix jeunes filles. Dans cette longue nuit de l’attente où nous marchons vers son Règne, si nous nous endormons, il nous réveillera, si nous sommes infidèles, il nous pardonnera.
Mais il faut que nos coeurs soient prêts à l’accueillir. Car si nous le refusons, il nous refusera. Il faut que notre lampe continue de brûler et que notre manque de foi ne l’éteigne pas.
Tel est bien l’enjeu pour notre Eglise. Nous nous tromperions en jugeant de notre mission selon les calculs des hommes, lorsque nous constatons en notre pays, la baisse du nombre des baptisés et des prêtres, lorsque certains nous annoncent l’effacement de la foi chrétienne de notre culture, lorsque nous voyons les moeurs d’un peuple ou d’une génération oublier rapidement la beauté de la vie que propose l’Evangile.
Dieu ne nous demande pas de compter les effectifs, mais de réveiller ceux qui dorment, de crier à cette génération et à celle qui arrive : “Voici l’Epoux qui vient. Sortez à la rencontre”.
C’est pour témoigner de cette espérance que le Seigneur vous a appelés, vous que touche la parole du Christ, vous chrétiens, pour que réveillés de votre sommeil, vous soyez à votre tour des éveilleurs.
N’ayez pas peur d’aimer Dieu, puisqu’il vous aime. Ne craignez pas de suivre le Christ, puisqu’il est le Chemin. Ne redoutez pas que l’on se moque de vous. Soyez au contraire dans l’allégresse puisque, unis au Christ, vous annoncez aux hommes par votre parole et votre vie le chemin du bonheur qui ne déçoit pas.
Et vous, mes amis, qui avez reçu il y a peu d’années le Sacrement de l’Ordre, c’est le Seigneur qui vous envoie à votre tour pour rassembler un peuple qui aille à sa rencontre. Vous n’aurez pas à accomplir ce que nous faisions, mais à faire ce que Dieu vous demandera. Une civilisation nouvelle est en train de naître sous nos yeux. Vous recevez la mission prodigieuse de lui annoncer l’amour de Dieu pour les hommes.
Que votre petit nombre ne vous effraie pas. Il importe moins que la force de la foi que le Seigneur vous donne et vous donnera.
Ne craignez pas la solitude ni l’isolement, puisque vous aurez en vous la présence du Christ, selon sa Parole ; et que, déjà, vous partagez la joie de voir l’Esprit de Dieu à l’oeuvre et se servir de vous comme messagers. Votre vie offerte est déjà un signe, une parole du Christ pour ceux à qui vous êtes envoyés. Elle est aussi un signe de contradiction, comme Jésus lui-même, pour une civilisation fascinée par l’argent, le sexe, le pouvoir et qui en devient esclave. Courage car vous lui apportez la liberté du Christ.
Ne vous tourmentez pas de votre langage, notre temps est rempli de paroles partout diffusées, si vite dévaluées. C’est l’Esprit qui par votre bouche parlera aux coeurs de vos frères le langage irrésistible de la Vérité.
Ne vous laissez pas intimider en imaginant les épreuves ou les difficultés que vous pourriez rencontrer. Au moment venu, la puissance de Dieu ne vous manquera pas puisque le Christ nous l’a promis.
Que votre communion et votre fraternité soient le garant de l’unité de l’Eglise. Car son lien indéfectible, c’est l’Esprit, source de la charité. Ce monde où vous vivez déjà n’est plus tout a fait celui de vos aînés; il est nouveau à bien des égards et attend sans la connaître encore la nouveauté de l’Evangile.
Quant à vous, qui il y a deux ans, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse avez découvert de la fraternité des disciples du Christ, vous qui avez goûté a sa joie, continuez la route avec lui.
Ne vous endormez pas et ne permettez pas que le monde s’endorme. Et si le Christ vous appelle à consacrer votre vie au service de l’Evangile et de vos frères, n’ayez pas peur de perdre. Car, en lui qui est la Vérité, vous recevrez la Vie.
Amen.
Prédicateur : Cardinal Jean-Marie Lustiger
Ville : LOURDES
Ce jour-là, il y a eu un miracle eucharistique pendant cette messe, filmé en direct puisque la messe était télévisée. Bien que non encore reconnu par l’Eglise, personnellement, j’y crois. J’avais vu cette célébration à la télévision et l’homélie du cardinal Lustiger m’avait captivée, c’est pourquoi je tenais à la publier aujourd’hui.
2 commentaires
Merci Véroniquede me faire (re)découvrir cette homélie, encore peut être plus adaptée aujourd’ hui qu’ il y a 19 ans!
Une superbe homélie, en effet !