Amos 8, 4-7
Psaume 112
1 Timothée 2, 1-8
Luc 16, 1-13
LA LEÇON DES MALFAITEURS
Point n’est besoin de se jeter dans des films ou des romans, il suffit d’observer l’actualité pour être suffoqué par les magouilles indéfinies que les hommes inventent pour améliorer leur ordinaire. Ça va des petits choses (utiliser les transports en commun sans payer, chiper une babiole au super…) jusqu’aux arnaques les plus retordes (travail en noir, dessous de table, fraude fiscale, croche-pied au concurrent…). Des centaines de milliards d’euros s’envolent dans les paradis fiscaux ; les drogues, par tonnes, échappent quotidiennement à tous les contrôles douaniers et, quoi que fasse la Banque nationale, dès que sort un nouveau billet réputé infalsifiable, la semaine suivante, des faux billets sont en circulation.
Ces manœuvres tordues ne datent évidemment pas d’aujourd’hui ni d’hier. Jésus, par une parabole, nous apprend à ne pas seulement nous indigner devant ces pratiques scandaleuses mais à en tirer une leçon de conversion.
Jésus disait encore à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu’il gaspillait ses biens. Il le convoqua : ‘Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.’
Le gérant pensa : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n’ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Ah, je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m’accueillir.’
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ? – Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’
Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ? – Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris quatre-vingts.’
Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière.
Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Luc 16, 1-10
On comprend bien : Jésus n’approuve nullement le méfait de cet homme qui, non seulement s’est montré un piètre administrateur de son maître mais, en outre, lui porte un ultime dommage avant son départ. Le maître doit admettre que cet intendant, au moment d’être mis à pied et de se retrouver déchu de son rang, a su inventer une issue et se montrer très « habile » car il est sûr que ces débiteurs de son maître à qui il vient d’octroyer un très inattendu bénéfice, se tiendront tenus de lui manifester de la reconnaissance, de le recevoir chez eux et de l’aider à retrouver une situation honorable.
Et, comme s’il était un peu désabusé, Jésus émet un regret : les païens (qui ne croient qu’à la vie mondaine) se montrent souvent bien plus habiles pour se tirer d’affaire, gagner de l’argent, garder leur rang que les disciples qui, éclairés par la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, et devenus «fils de Lumière», devraient pourtant avoir les réactions adéquates et, par conséquent, inventer des initiatives.
Jésus nous presse :
Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Prévenus de la labilité et de la fugacité du monde, les disciples ne doivent jamais oublier qu’ils sont sur des sièges éjectables qu’aucune tonne d’or ne peut fixer et qu’un jour ou l’autre, ils vont être jetés dehors. C’est pourquoi il est urgent qu’ils multiplient les dons aux pauvres car « le Royaume est à eux » (6, 20 : le grand message des Béatitudes). Lorsqu’ils perdront leur maison terrestre, ceux-ci pourront montrer leur gratitude à leurs « amis » en les accueillant dans la Grande Demeure où le règne de l’argent sera remplacé par le seul Règne de l’Amour Eternel.
L’enseignement sur l’usage de l’argent se poursuit par un avertissement puis une mise en décision.
GERER NOS BIENS DE FACON FIABLE.
Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande.
Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, qui vous donnera le vôtre?
Certes le disciple doit gérer ses biens terrestres avec prudence mais contrairement à ce que lui murmurent ses voisins et les médias, il n’est pas vrai que l’administration anxieuse et la fructification cupide, la volonté de croissance et l’obsession de placements juteux, constituent un enjeu essentiel pour la vie : Jésus ose parler de tout cela comme de « toutes petites affaires ».
Si Dieu voit des « croyants » à ce point englués dans les ornières du matérialisme, comment pourrait-il nous « croire » ? Nous ne sommes pas fiables, pas « dignes de confiance ». Rarement est soulignée à ce point l’incarnation de la foi : loin de se limiter à un secteur de la vie, elle doit se vivre dans l’économie équitable, la répartition des bénéfices, la gestion des biens, la volonté de justice pour tous. Pas d’examen de conscience sans réflexion sur sa propre comptabilité. Trop de chrétiens voudraient que leurs pratiques financières soient exclues de la vie religieuse, ils les excusent comme répandues, nécessitées par la concurrence. La vie spirituelle est charnelle – pas seulement soucieuse de pureté sexuelle, mais tout autant acharnée contre cette cupidité qui nous hante et qui, pour saint Paul, est une « idolâtrie » (Col )
SE DONNER A UN MAÎTRE UNIQUE
« Aucun domestique ne peut servir deux maîtres. Ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. »
Jésus a utilisé l’argent sans mauvaise conscience, il n’a jamais prôné le retour à un système de troc ni proposé l’utopie d’une société égalitaire. Mais il a constaté combien le moyen d’échanges dérape facilement en but. Puisque l’argent chasse l’inquiétude des fins de mois, permet la satisfaction de tous les besoins, protège des aléas de l’existence et promet sans cesse de nouvelles jouissances, c’est donc lui qu’il importe de chercher. Surtout dans une société qui fonctionne sur l’excitation de plaisirs toujours nouveaux.
L’argent donne une base solide : donc on peut « se fier » à lui, croire en lui. Il ouvre de nouveaux horizons paradisiaques : donc il alimente l’espoir. Et c’est ainsi que l’argent-outil devient un maître, un dieu que l’on sert et c’est pourquoi Jésus, à trois reprises (versets 9-11-13) l’appelle MAMON.
En hébreu le vocabulaire de la foi se base sur la racine « ‘MN » : la foi se dit EMOUNAH ; la confession de foi se dit AMEN. Il ne s’agit en aucun cas d’une croyance intellectuelle, de la connaissance de formules. Répondre AMEN est un engagement personnel, un don de soi : « Je sais que ce qui m’est dit est absolument sûr, fiable, solide, constant, permanent : donc il y a là quelqu’un, le seul, sur lequel je peux construire mon existence ».
Or il ne peut y avoir deux fondations. Si l’argent est basique, il joue le rôle de fondement donc ce que j’appelle « ma foi » n’est que verbiage, vague croyance, crédulité consolatrice, bulles vides.
Beaucoup disent que le culte du veau d’or est revenu : on en voit les ravages. Ce que le système lénino-marxiste a voulu imposer par la violence, le système libéral déchaîné le réalise par la séduction : éradiquer la foi, supprimer tout appel à la Transcendance.
Que doit faire l’Eglise lorsque règne Mamôn, lorsque le système, de lui-même, multiplie sans efforts les revenus des plus riches et rabote les salaires des petits, lorsqu’il est capable de ressusciter des banques en ruines tout en envoyant la jeunesse au chômage ?
Je ne suis pas sûr que nos Eglises occidentales aient pris la mesure du péril encouru et des moyens à inventer pour se purifier de la contamination si séduisante. Il importe en tout cas de refuser de toutes nos forces l’idolâtrie financière, de critiquer, de torpiller ce Mamôn, de dénoncer ses mensonges meurtriers. Car adorer un faux dieu, c’est conduire l’homme à la mort.