Jean 9, 1-41 L’aveugle-né
Dans son exhortation « La joie de l’Évangile » (§ 157), le pape François invite les prédicateurs à développer une idée, une image, un sentiment, au cours d’une homélie.
Une idée : C’est le récit non seulement d’un miracle mais surtout d’une conversion, celle de la foi en Jésus, de l’importance décisive de la venue de Jésus dans le monde, pour notre vie personnelle et collective. C’est le mystère de l’Incarnation. Jésus change notre conception de la vie, du mal et de la mort non seulement dans l’histoire humaine générale, mais aussi dans notre histoire personnelle. Dans notre texte, il commence par corriger l’idée de Dieu qui punit les hommes à cause de leurs péchés. Puis le lecteur ou l’auditeur croyant apprend qu’il est, comme tout homme, un aveugle-né mais, grâce à Jésus, il est devenu un aveugle-né qui voit. Parmi toutes les guérisons d’aveugles opérées par Jésus, St Jean a retenu celle de l’aveugle-né, prototype du croyant qui passe des ténèbres à la lumière en passant par l’eau du baptême et qui devient témoin du Christ malgré l’indifférence des uns et l’hostilité des autres. En gros, il y a deux conceptions du rôle de Jésus dans notre monde :
– Jésus vient réparer le désastre causé par le péché originel comme un « divin plombier”
– ou bien si l’aveugle n’est pas coupable, « ni lui ni ses parents », il ne peut symboliser la condition pécheresse de l’humanité.
Son état symbolise des ténèbres natives, celles où tout homme se trouve avant d’avoir été éclairé par la révélation du Fils. Ici, il ne s’agit pas d’une réparation d’un mal issu du péché, mais d’une transformation de l’être comparable à celle que produit la naissance d’en-haut. En parlant de «manifestation », le sens est celui d’une révélation, celle d’une nouvelle création cachée dans l’ancienne. Dans cette nouvelle création, le principe lumineux est Jésus dont la présence est : «jour» et son absence : « nuit ». Voilà l’idée maîtresse que nous pouvons retenir de ce texte.
Une image : celle qu’utilise Jésus lui-même, celle de l’opposition entre la lumière du jour et les ténèbres de la nuit. Nous avons tous fait l’expérience des ténèbres quand nous nous réveillons la nuit. Si nous connaissons les lieux, nous ne sommes pas aveugles de naissance et nous pouvons tâtonner pour circuler, malgré tout, dans le noir, quitte à trébucher. Mais si nous nous réveillons dans un endroit inconnu et toujours dans la nuit, quelle difficulté pour s’orienter ! Alors que l’aveugle va progressivement vers la lumière jusqu’à dire, en se prosternant : « je crois, Seigneur », les pharisiens s’enfoncent dans l’incroyance et donc dans la nuit. Pourquoi ? Le problème des pharisiens c’est que Dieu s’est révélé à Moïse et donc, pour eux, il ne doit plus se manifester. Ils se sont arrêtés à un moment de la Révélation. Pour Jésus, le temps est divisé entre le jour et la nuit, mais il s’agit d’un seul jour, celui du Seigneur, et d’une seule nuit : celle du péché. Notre vie, le temps de notre vie terrestre nous est donné pour sortir de la nuit et aller au jour, à la Lumière du Christ ressuscité. Ce texte interprète notre condition d’homme, notre relation personnelle avec la Lumière qu’est Jésus. C’est notre combat pour la vérité et contre le mensonge qui se joue au cœur de chacun, chaque jour. Suis-je dans la lumière ou dans les ténèbres ? Comment savoir ? « Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est toujours dans les ténèbres » (1 Jean 2,9).
Un sentiment : celui qu’exprime une catéchumène convertie de l’islam au christianisme : « Jésus m’a mise debout » celui qu’a dû éprouver l’aveugle-né et que ressentent probablement les 3600 catéchumènes adultes qui se préparent au baptême en France, à l’occasion de Pâques 2014. C’est le sentiment que j’éprouve aussi et que tout baptisé peut ressentir : un sentiment de grandir en liberté et en responsabilité humaine, d’être davantage soi-même. Comme la foi, la vie est un cadeau qui nous est proposé. À la différence de Bartimée, par exemple, (Marc 10,51) ou d’autres aveugles qui cherchent à se faire guérir (Matthieu 9,27), l’aveugle-né n’a rien demandé à Jésus. C’est Jésus qui, « en passant », a pris l’initiative. Et comme tout catéchumène et disciple de Jésus nous avançons toute notre vie dans la connaissance progressive de Celui qui nous ouvre les yeux. Encore faut-il accepter ce cadeau, non comme un objet mais comme une relation d’amitié et de reconnaissance. Cette histoire d’aveugle-né me fait prendre conscience de l’importance des rencontres souvent imprévues de tous les jours, des choix de m’ouvrir librement ou de me renfermer sur mes certitudes. C’est en répondant aux questions et aux sollicitations des autres que je prends davantage conscience de ma foi en Dieu tel que Jésus me le révèle. Jésus a disparu une bonne partie du récit, c’est pourtant de lui qu’on parle, comme aujourd’hui il a disparu physiquement. Les dialogues, tracasseries, contestations apprennent à l’aveugle-né à dire « je » tandis que les parents et les pharisiens disent « nous ». Il n’est pas facile de dire « je », ça s’apprend ! Nous pouvons souhaiter que nos communautés chrétiennes soient des lieux où chacun apprenne à dire « je », avec confiance, comme l’aveugle-né. Celui-ci n’affirme jamais plus qu’il ne peut, mais il tient fermement à la vérité qu’il a perçue, ce qui l’entraîne vers la lumière complète. La foi n’existe qu’interrogée, elle exige une réponse libre et personnelle.
L’histoire de la conversion de l’aveugle-né est encadrée par le mot « péché ». Il n’a pas le même sens au début et à la fin. Jésus est venu corriger l’image d’un Dieu qui punit les pécheurs en montrant par ses actes et ses paroles qu’il est venu sur terre non pour condamner les pécheurs mais pour qu’ils se convertissent et qu’ils vivent, d’une vie divinement humaine et humainement divine, lumineuse !
Frère Antoine