LAISSEZ LE ENTRER
Dans le rituel de la fête de la Pâque, il était prescrit à chaque famille juive de se procurer un agneau mâle le 10 du 1er mois, de l’observer sérieusement pendant quelques jours afin de constater s’il n’avait pas de défaut ou de maladie ; après quoi, le 14, on l’immolait pour célébrer le repas pascal (Exode 12, 3-6)
Voilà pourquoi c’est au moment où les habitants et les pèlerins assaillent les marchés afin d’acheter leur agneau que Jésus fait son entrée à Jérusalem. Pendant 3 ou 4 jours, ses adversaires vont le tester en lui posant mille questions embarrassantes (le tribut à César, la résurrection des morts, le grand commandement… : Matt 21, 23 – 22, 46). Finalement le peuple constatera que Jésus ne ment pas. : il sera donc la victime intègre, sans défaut. S’il va être arrêté, ce n’est pas par surprise, victime inconsciente du piège tendu par ses adversaires : il sait ce qu’il vit pendant tous les moments de ces jours, appliqué à réaliser les Ecritures qui lui transmettent la Volonté de Dieu son Père. Le temps des sacrifices d’animaux est terminé : aujourd’hui et pour toujours Jésus est le véritable AGNEAU PASCAL, celui dont la mort par amour va libérer non un seul peuple mais l’humanité entière de l’esclavage du péché.
LE SIGNE DE L’ÂNE
Jésus et ses disciples, approchant de Jérusalem, arrivèrent en vue de Bethphagé, sur les pentes du mont des Oliviers. Alors Jésus envoya deux disciples: « Allez au village qui est en face de vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et son petit avec elle. Détachez-les et amenez-les-moi…
Sur le moment même, ni la foule ni les apôtres n’ont compris l’intention du Maître mais, après la résurrection, les disciples seront frappés par la cohérence des événements et l’explication de cette entrée sur cette monture. Matthieu écrit : « Cela s’est passé pour accomplir la Parole transmise par le prophète Zacharie……. ». En effet, plus de deux siècles auparavant, le prophète avait annoncé la venue du Messie à Jérusalem : il ne serait pas le chef, vainqueur irrésistible, monté sur un cheval fougueux:
« Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem !
Voici que ton Roi s’avance vers toi :
il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, avec un jeune ânon.
Il supprimera d’Israël le char de guerre, et de Jérusalem, le char de combat.
Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour toutes les nations… » (Zach 9, 9-10)
Quel paradoxe ! Pour libérer le monde, le Messie est doux et humble de cœur, il appelle au désarmement et au rejet de la violence. Et il vient accorder la Paix non seulement à son peuple mais à toutes les nations. L’Evangile de Pâques propose la réconciliation universelle, la fraternité: le sang de l’Agneau peut laver toutes les souillures de l’humanité.
Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! »
Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation, on disait : « Qui est cet homme ? » .Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »
Israël, piétiné par les empires, occupé depuis plus de 90 ans par les Romains, fêtait la Joyeuse Entrée de ce Jésus de Nazareth tout auréolé de sa réputation : « Formidable ! Il opère des guérisons miraculeuses, il assure que Dieu va venir régner, on dit même qu’il a ressuscité un mort, qu’il est un descendant du grand roi David…». Dans la folle ambiance de la Pâque qui était, en même temps, le souvenir de la sortie de l’esclavage en Egypte et l’annonce des libérations futures, quelle espérance se levait dans les cœurs ! Voilà notre sauveur, notre futur Roi, d’où le cri «Hosanna » qui signifie : Dieu sauve-nous !
Le doux Messie qui n’a d’autre monture qu’un pauvre ânon n’est pas dupe de ces vivats, de ces fleurs, de ces acclamations : il ne promet ni grandeur, ni succès, ni triomphe, il ne vient pas soulever une nation contre une autre mais les appeler toutes deux à se réconcilier, à marier Décalogue et droit romain, à dialoguer dans le respect des différences, à mettre fin à la dictature, à l’instinct de conquête, à la haine.
ET ENSUITE ?
Jésus entra dans le Temple, et il expulsa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le Temple ; il renversa les comptoirs des changeurs et les sièges des marchands de colombes.
Il leur dit : Il est écrit : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » (Isaïe 56, 7). Or vous, vous en faites une caverne de bandits (Jér 7, 11)».
Des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit.
Les grands prêtres et les scribes s’indignèrent quand ils virent les actions étonnantes qu’il avait faites, et les enfants qui criaient dans le Temple : « Hosanna au fils de David ! ». Ils dirent à Jésus : « Tu entends ce qu’ils disent ? » Jésus leur répond : « Oui. Vous n’avez donc jamais lu dans l’Écriture : ‘De la bouche des enfants, des tout-petits, tu as fait monter une louange ? » (psaume 8)
Alors il les quitta et sortit de la ville en direction de Béthanie, où il passa la nuit.
Qu’attendait le peuple ? Que Jésus convoque une assemblée où il dénoncerait le paganisme des troupes étrangères, appellerait à la résistance et fulminerait contre les voleurs, les prostituées, tous les malfaiteurs qui souillaient la Ville sainte ? Or tout au contraire, et à la stupeur générale, il se rend au temple, à la Maison de Dieu, cœur de la ville et du pays, et il se déchaîne contre tout le commerce qui s’était installé sur l’esplanade. En effet le prophète Zacharie avait prédit qu’à la fin, “il n’y aurait plus de marchands dans le temple » : certes puisque Jésus est l’unique Agneau qui supprime tous les sacrifices.
Ce faisant Jésus répète le geste du prophète Jérémie : il ne dénonce pas les profits illicites des marchands – comme on dit souvent – mais un culte hypocrite. Si l’on ne vit pas selon le droit et la justice, si l’on bafoue les préceptes de Dieu et que l’on vienne ensuite au temple pour une prière ou un sacrifice, on se comporte comme les brigands qui, après leurs larcins, se réfugient dans une grotte lointaine où ils se sentent à l’abri des poursuites (cf. Ali Baba). Le temple, dit Jésus après Jérémie, n’est pas une assurance automatique, un lieu où la liturgie compenserait les failles sociales. Pas de piété sans pitié pour les malheureux. Pas de paternité divine sans fraternité humaine.
Et Jésus opère quelques guérisons : il autorise l’accès au temple à ceux à qui il était interdit à cause de leurs infirmités. Malades, handicapés, marginaux, enfants peuvent chanter leur allégresse tandis que les grands prêtres et les scribes se durcissent et que s’exacerbe leur hostilité à l‘égard de cet inconnu qui ne peut être qu’un blasphémateur à supprimer au plus vite. La croix se profile.
Aujourd’hui nous entrons dans la Grande Semaine (qui ne peut être pour nous, chrétiens, un temps de vacances et de divertissement), nous agitons nos branches de buis en chantant Hosanna à un Messie sans apparat, sans triomphalisme. A présent nous savons à quoi cette fête conduit et nous accrocherons nos buis à nos crucifix car c’est là, sur la croix, que Jésus est proclamé notre Roi.
Il vient sur son âne comme pour nous dire : ayez de grandes oreilles pour bien écouter mes enseignements – portez les fardeaux les uns autres – sans hâte ni impatience allez votre chemin – n’ayez cure des moqueries – acceptez de subir l’épreuve de la purification.
De lundi à mercredi, abordons « la question Jésus » et la pertinence de l’Evangile, enracinons notre foi.
Jeudi consommons un roi qui nous constitue en un temple vivant où la liturgie est amour.
Vendredi contemplons l’Agneau qui se donne pour le pardon de nos péchés.
Samedi éprouvons l’absence terrible de Dieu, le vide effrayant au sein de notre société qui désespère.
Et dimanche nous exulterons devant le Seigneur qui fait de la mort une pâque, c.à.d. un passage, qui nous comble de miséricorde et qui nous appelle à être ses joyeux témoins… même si on nous traite d’ânes !
1 commentaire
Merci Véronique pour cette homélie. Je n’avais compris à quel point cette analogie de Jésus avec l’agneau était aussi incarnée dans le temps et l’espace, avec l’entrée à Jérusalem correspondant à l’achat de l’agneau sans tache par les familles juives et la crucifiction, trois ou quatre jours plus tard, à son sacrifice..