Actes des Apôtres 6, 1-7
Psaume 32
1 Pierre 2, 4-9
Jean 14, 1-12
Depuis plusieurs années, il y a quelque chose qui m’étonne et m’attriste dans notre monde occidental. Il s’agit du nombre de personnes tant hommes que femmes qui décèdent durant la première année de leur retraite. Alors qu’ils ont attendu ce moment pendant plusieurs décennies, voilà qu’ils ne profiteront pas de cette nouvelle étape de la vie. Une explication plausible serait la suivante. Dans notre société, nous sommes priés de conjuguer le verbe « faire » à tous les temps. Seul le « faire » importe et tellement il importe que parfois il nous emporte. Celles et ceux qui ne «feraient » pas ou qui ne feraient « plus » par décision volontaire ou par circonstances de la vie, n’ont plus droit au chapitre. Ils ne s’inscrivent plus dans cette société qui ne se définit que par son « faire ». Combien de fois, n’ai-je entendu des personnes qui se plaignaient que parce qu’elles ne travaillaient pas, on leur disait qu’elles ne pouvaient pas comprendre la vie. Une telle conception de l’existence est à dénoncer à tout prix car le risque est grand : il est celui de nous identifier tellement à notre « faire » que lorsque nous ne faisons plus, nous n’existons plus. C’est comme si nous avions perdu notre propre identité. Je ne suis pas en train de chercher à prôner une société fondée sur l’oisiveté, la fainéantise. Loin s’en faut. Je pense qu’il est plus que temps que nous remettions le « faire » à sa juste place et que tout être humain puisse à nouveau se définir par son « être ».
Tel est d’ailleurs le sens de l’évangile de ce jour. Le Christ ne nous dit pas : « Je fais le chemin, la vérité, la vie ». Non, il proclame : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Pour Dieu, toute créature humaine existe par son être. Nous sommes appelés à devenir, à accomplir notre propre destinée non pas d’abord en faisant mais bien en étant. En effet, le jour où nous mourrons, nous laisserons sur cette terre tout ce que nous avons fait mais nous passerons la porte de la mort pour entrer dans la vie éternelle avec tout ce que nous sommes devenus. N’est-ce pas cela le sens même de la résurrection qui agit déjà en nous ? S’il en est ainsi, voilà la question que nous avons à nous poser avant toute autre : qui suis-je ? Qui suis-je non pas d’abord aux yeux des autres mais de moi-même ? Chacune et chacun d’entre nous, nous sommes en chemin dans notre vie et celle-ci s’éclaire par notre vérité intérieure. Nous devons oser affronter notre propre réalité, nos forces et nos fragilités, nos bonheurs et nos errances, nos accomplissements et nos transgressions, nos tendresses et nos blessures. Toutes ces réalités façonnent, pétrissent notre identité. En effet, tout au long de notre vie, notre être se construit également par le biais des rencontres que nous sommes amenés à vivre. Des événements heureux ou dramatiques vont traverser nos existences et rien ne sera plus jamais comme avant. Nous apprenons à les intégrer dans nos histoires. Nous mûrissons, nous grandissons en humanité même si cela prendra parfois le temps de toute une vie surtout lorsque nous avons été bouleversés par l’injustice de celle-ci. Il y a donc tout ce travail intérieur de vérité et d’acceptation de nos réalités. C’est bien à partir de cette prise de conscience de qui je suis aujourd’hui sur le chemin de ma propre existence que je puis me poser l’autre question fondamentale : qui est-ce que je souhaite être ? En effet, nous sommes des êtres en devenir, jamais pleinement réalisés. Répondant à cette question, nous pouvons alors nous demander ce que nous avons à mettre en place, à faire pour devenir qui nous voulons être. L’être prime donc toujours devant le faire. Ou pour le dire autrement, le faire est la conséquence de notre être. Il ne peut en être sa finalité. Toutes et tous, nous avons à être dans la spécificité et l’unicité de ce que nous sommes. Et pour le devenir nous avons à poser des actes. Ces derniers s’inscrivent à la suite du Christ qui nous offre le chemin sur lequel nous nous construisons, à la suite du Christ qui nous éclaire de la vérité qui est en Dieu, à la suite du Christ qui nous ouvre à la vraie vie, celle de notre être pour l’éternité.
Amen
Philippe Cochinaux