Actes des Apôtres 2, 1-11
Psaume 103
1 Corinthiens 12, 3b-7. 12-13
Jean 20, 19-23
Aujourd’hui l’Église nous invite à célébrer l’Esprit Saint.
C’est notre joie.
Et pourtant, il faut bien reconnaître que ce n’est pas si facile : qui est l’Esprit ? Personne ne l’a jamais vu en face de soi, et n’avons pas beaucoup d’images à lui rattacher. Spontanément on aurait même envie de penser à une force, une qualité, une sorte d’intuition. Rien de très concret en tout cas.
Or, même si notre tradition occidentale reste très sobre quant à l’Esprit Saint, dès les premiers temps de son histoire l’Église a compris qu’il n’était pas seulement une vague idée mais une personne.
Mais voilà, même dans la foi, accueillir comme une personne celui auquel nous ne pouvons prêter aucun visage cela met notre intuition et nos conceptions à l’épreuve. C’est un vrai travail, mais pas au sens d’une fabrication ou de n’importe quelle production, au sens où l’on dit d’une femme au terme de sa grossesse qu’elle entre en travail. Cet hôte sera toujours un mystère. Plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes et à la fois radicalement autre.
De toute façon, les textes d’aujourd’hui nous obligent déjà à abandonner toutes représentations faciles.
En évoquant cette Pentecôte à Jérusalem Luc raconte un événement impressionnant qui attire toute une foule, où tout à coup les apôtres sont remplis d’une assurance à laquelle personne ne résiste.
C’est tout le contraire de Jean qui nous parle d’une visite presque furtive au milieu des disciples, et l’on se demande ce qui change pour eux.
Deux textes si différents mais ce n’est pas au choix : il faut tenir les deux.
Il y a tout de même deux points communs entre eux : d’abord, les disciples sont réunis, et ensuite ils sont enfermés, ils ont peur. Mais notre assemblée, aujourd’hui, est la preuve vivante que ça n’a pas duré : ils sont sortis, ils ont transmis l’Évangile au monde, et aujourd’hui, même nous, descendants de barbares, nous sommes réunis autour du Christ.
Or, par les temps qui courent l’obsession de la visibilité qui s’étale partout peut nous contaminer nous aussi. Alors il est bon de prêter un peu attention à la discrétion de s. Jean.
Il nous parle encore de ce fameux premier jour de la semaine. Le premier jour, le début d’un temps neuf comme une ouverture. Pour les femmes les choses s’étaient passées le matin et c’était là aussi à une heure où la lumière et l’obscurité ne se sont pas encore franchement séparées. Pour les disciples, ce temps neuf commence dans l’ombre d’un soir. Tout comme au commencement du monde où, nous dit la Genèse, il y eut un soir et il y eut un matin. Car l’Écriture ne cesse d’y revenir : c’est bien dans la nuit que tout prend corps.
En général, nous aimons ce qui est simple et transparent. Mais nous savons pourtant que le plus solide en nous s’enracine dans un travail enfoui au plus profond de notre monde intérieur, un lieu dont nous n’avons pas une claire conscience. Dieu s’y révèle, dans l’obscur, l’incertain, plus souvent que dans la clarté aveuglante des explications imparables.
Et justement, dans ce soir qui tombe, Jésus se fait reconnaître à son corps blessé où la résistance de notre humanité devant son amour reste inscrite pour toujours. Le verbe s’est fait chair nous a dit Jean au début de son évangile. Il reste dans la chair, une chair meurtrie, et ne rejoint pas un ciel d’idées pures.
D’ailleurs, s’il donne son souffle aux disciples, ce n’est pas pour les séparer de la chair, comme si c’était une souillure. Le verbe grec que Jean emploie pour désigner cette insufflation se trouve à deux lieux clefs de l’ancien testament : la Genèse où Dieu souffle son esprit de vie en l’homme pour transformer la glaise en corps humain et l’impressionnante vision d’Ézéchiel où le prophète voit des ossements desséchés se couvrir de chair et les corps retrouver la vie. Quand l’Esprit entre en eux, les morts se redressent.
Pour ces disciples terrés entre leurs quatre murs, aussi bien enfermés que dans un tombeau, c’est aussi l’heure de la renaissance, du retour à la vie.
Et par son geste, Jésus les appelle à se souvenir des promesses qui s’inauguraient déjà dans la déclaration de Jean-Baptiste : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui » L’Esprit est ce compagnon secret qu’on sait lié à Jésus depuis le premier jour et l’annonce revient tout au long de l’Évangile de Jean : l’Esprit fait renaitre et vivifie, il est le défenseur, celui qui établit dans la vérité, qui rend témoignage et qui demeure à jamais avec les disciples.
Mais surtout, aujourd’hui, le geste de Jésus qui souffle sur ses disciples unit la joie de le voir vivant à l’instant de la croix où nous a dit Jean, Jésus a remis l’esprit. Car l’Esprit venu du Père par le Fils vient rencontrer ce qui en nous se cabre devant une vérité qui fait peur. Dieu est amour. Et nous ne parvenons pas à le croire. D’où notre violence sauvage.
C’est bien pour cela que Jésus nous apprend encore autre chose, une chose qu’il n’avait pas dite aussi clairement jusque là : l’Esprit nous est remis pour le pardon, ce dont les hommes ont vraiment soif, ce qui peut vraiment les faire renaître.
Il y aurait pourtant de quoi être choqué : ce soir-là, le pardon est confié à ceux qui précisément avaient beaucoup à se faire pardonner, eux qui avaient abandonné leur maître aux mains des bourreaux. Et chacun d’eux, sans doute pouvait avoir envie de partir de cette communauté faite de gens si banalement lâches. Qui d’entre nous, ne connaît pas la tentation de s’en aller quand la déception est trop forte. La suite montrera d’ailleurs qu’être disciple du Christ n’empêche nullement notre humanité de rester ce qu’elle est. Pour le dire un peu familièrement, l’ivraie aussi pousse dru dans le champ où le Seigneur a semé sa parole.
Mais voilà maintenant les disciples définitivement liés les uns aux autres par la présence de ce nouveau compagnon. Ils sont chargés de répandre et diffuser ce dont les hommes ont le plus besoin : la miséricorde de Dieu. Ils l’apprendront et la recevront en la donnant. D’ailleurs, Jésus envoie sans même préciser où : il n’y a ni destination précise ni limite, toute l’humanité et tout l’humain est concerné.
Pas de limite d’espace, pas de limite de temps non plus, car Jean ne nous dit à aucun moment que Jésus quitterait ses disciples ou qu’ils se retrouveraient seuls. Comme si cet épisode n’avait pas vraiment de fin, et on ne voit pas la nuit s’écouler. Un nouveau temps a bel et bien commencé. Un temps qui n’est pourtant pas sans rythme puisque, comme on sait, huit jours plus tard aura lieu le dialogue avec Thomas. Il y aura aussi un matin dont Jean nous parle peu après : au bord du lac, la rencontre avec Jésus après une nuit d’efforts de pêche infructueux. Et c’est un peu comme si le temps de l’Esprit était ce temps de l’obscurité laborieuse où le regard ne peut pas porter très loin. Où l’Esprit, cet inconnu si proche, si familier mais insaisissable est à l’oeuvre dans l’ombre. Imperceptiblement, il nous soutient, même et surtout quand nous pourrions désespérer de voir ce que notre fécondité a de piteux. L’erreur serait de nous croire seuls car en fait sans lui, nous serions morts.
Nous ne sommes pourtant pas complètement sans signes de sa venue, notre texte nous le dit encore à travers un petit détail, une mention qui se trouve exactement au centre du récit : les disciples sont remplis de joie. C’est la carte de visite, le signe de la présence respectueuse et discrète mais vivifiante. L’erreur, celle qu’on fait trop facilement en lisant le récit de la Pentecôte chez s. Luc, c’est de confondre joie, enthousiasme, excitation comme si être fidèle à l’Esprit devait faire de nous des fanatiques. Jean nous parle d’une joie qui ressemble à la flamme d’une petite bougie dans la nuit. C’est plus souvent notre expérience. Mais c’est assez.
f. Bruno Demoures, N.-D. de Tamié, Pentecôte 2014
Source : http://www.abbaye-tamie.com/