Frères et soeurs, je ne vous cacherai pas que la tâche du prédicateur n’est jamais bien facile ; cependant, aujourd’hui, elle bat tous les records. Il me revient, en effet, je ne dis pas de vous expliquer, ce qui serait une pure hérésie, mais, au moins, de vous présenter, ou plutôt de vous faire pressentir, le mystère suprême de notre foi : la très sainte Trinité. Les grands docteurs de l’Église, qui se sont attelés à cette tâche, ont tous reconnu la pauvreté de nos mots, l’impuissance de notre langage à exprimer l’inexprimable. Je demande donc votre indulgence. Pendant des siècles, l’Ancien Testament s’était efforcé de présenter Dieu comme l’Unique, face à la multitude des divinités païennes. Et maintenant, nous apprenons que le Père, le Fils et l’Esprit sont trois Personnes divines distinctes. Bien plus, c’est là la spécificité de notre foi chrétienne, la différence fondamentale par rapport aux autres conceptions de Dieu. Comment cela ? On dit bien en français: les chiffres sont les chiffres ! Un n’est pas trois : il faut choisir ! Oui. Mais la logique de Dieu dépasse notre logique, et la sagesse de Dieu dépasse notre sagesse.
Alors, frères et soeurs, on ne peut vraiment rien dire à propos de la Sainte Trinité ? Nous pouvons en dire quelque chose, tout de même, car c’est Dieu en personne qui nous en a fait la confidence. Jésus seul pouvait nous en parler, car il est le Fils de Dieu fait homme. Jésus nous a révélé que le Dieu unique est Père, Fils et Saint-Esprit. Il nous a fait entrevoir la vie intime de Dieu. Car Dieu est amour. Or, quel est le propre de l’amour ? Vous le savez mieux que moi, frères et soeurs, vous qui êtes mariés, qui avez des enfants et des petits-enfants : le propre de l’amour est de se donner. Eh bien, en Dieu aussi il y a une relation d’amour, de don, d’échange réciproque. Le contraire serait étonnant, n’est-ce pas ? Cette relation constitue les trois Personnes divines. Essayons de voir comment.
Le don total de soi-même constitue la Personne du Père. De toute éternité, le Père engendre un Fils, autrement dit, il s’exprime dans une Parole, un Verbe ; il lui communique en plénitude son être, sa vie, son amour. Le Père est cette source éternellement jaillissante, surabondante, débordante. Et il trouve son bonheur, sa joie parfaite, dans le don total de lui-même au Fils. Le Père est la générosité personnifiée.
Le Fils, lui, est l’accueil du don du Père, de son amour. Mais le fleuve reflue vers sa source, l’amour du Fils rejaillit vers le Père dans un immense élan de gratitude, d’action de grâces. Si nous pensons que le mot grec « eucharistie » signifie, justement, « action de grâces », nous pouvons parler d’une eucharistie éternelle du Fils, dont nos eucharisties d’ici-bas sont l’image. Le Fils bien-aimé du Père est aussi le Fils très aimant qui se donne en retour au Père dans une eucharistie de joie, une action de grâces sans fin.
Or, cet amour mutuel du Père et du Fils surgit entre eux comme une troisième Personne : l’Esprit Saint, l’Amour personnifié. Il est le témoin et le fruit de l’amour éternel du Père et du Fils, un peu comme l’enfant dans un amour humain. Il est leur joie de s’aimer, de se donner l’un à l’autre.
Mais alors, me direz-vous, la Trinité, ce sont trois dieux ! C’est la critique que nous adressent nos amis musulmans, qui nous reprochent d’être revenus au polythéisme antique. Nullement : car, entre les trois Personnes divines, tout est commun, tout est indivisible. Dieu est un : « Si je puis m’exprimer ainsi – a dit saint Bernard : il est ‘unissime’ » (Csi V,17). En Dieu, il y a distinction sans séparation. En Dieu, la sainteté, la puissance, la sagesse, l’amour, en un mot, la nature, tout est unique, parce que tout est commun aux Trois, tout est partagé, dans un échange perpétuel. Mais il y a plus : les trois Personnes divines nous invitent, invitent chaque homme, à partager leur amour, leur bonheur. Le Père envoie son Fils aux hommes. Le Fils nous appelle tous à entrer dans son amitié, dans son intimité, pour nous introduire, par lui, avec lui et en lui, dans l’intimité du Père. Et cela, dès maintenant, grâce à l’Esprit-Saint qui nous a été donné et qui nous fait fils dans le Fils, tournés vers le Père, en attendant la rencontre face à face.
Frères et soeurs, j’espère qu’après cette homélie personne d’entre vous ne dira : « Maintenant, j’ai compris le mystère de la Trinité. » Ce serait la preuve que j’ai complètement raté ma prédication. Tout ce que je vous ai dit, ce ne sont que des balbutiements d’enfant. Nos mots, nos images, nos concepts, ne sont que des balises pour orienter notre regard intérieur. Le silence adorant de la prière nous permettra d’aller beaucoup plus loin dans cette contemplation. Mais c’est au ciel seulement que nous verrons Dieu tel qu’il est. Et l’éternité entière ne suffira pas pour rassasier notre désir : désir toujours apaisé et toujours renaissant plus intense dans son perpétuel jaillissement. Comme l’écrit saint Bernard dans sa langue admirable : « La consommation de la joie consumerait-elle le désir ? Elle est bien plutôt l’huile pour lui qui est une flamme. Oui, c’est ainsi. L’allégresse atteindra sa plénitude ; mais le désir n’aura pas de fin » (SCt 84,1). Amen.
Frère Raffaele