Lettre ouverte au pape François, septembre 2014
Cher pape François,
J’ai 67 ans et je viens de me marier. Avec grande joie. Avec le sens de mon engagement aussi, envers l’homme de 72 ans qui me fait confiance pour éclairer sa vie, toute vie autour de nous sur le chemin qu’il nous reste à parcourir.
Emerveillés par cet amour tardif qui relance en nous espérance et vigueur, malgré le handicap de mon mari, nous rendons grâce ! Car de cela, nous sommes sûrs : il est un don du Ciel ; deux graines d’amour ont atteint nos coeurs par surprise, elles ont poussé là comme des fleurs impertinentes… et sont appelées à grandir !
Car il n’est pas facile d’aimer, d’aimer vraiment. L’amour peut-il se passer d’apprentissage ? Pour ma part, je peux l’avouer maintenant : laisser grandir l’amour malgré l’ivraie des incompréhensions, contempler l’autre jusque dans ses faiblesses, aimer sans conditions, c’est le travail d’une vie !
Mais ce travail adoucit le monde.
Je me suis mariée, et ma famille et mes amis s’en sont réjouis. Ils se sont libérés de leurs tâches, même les éclopés, pour venir à la fête. Mes enfants les premiers m’ont dit : « Super ! Bravo Maman ! ».
Car j’ai de grands enfants, oui, cher pape, et je suis grand-mère. Et mon époux est grand-père. Nous avons connu chacun une première union. Avons-nous été infidèles et maladroits ? Bien sûr. Infidèles à nous-même, pour le moins, quand nous ne savions plus quel chemin ouvrirait de nouveau à la vie. Qui connaît tout ?
Mais savez-vous, nous sommes reconnaissant chacun du passé de l’autre, car il a nourri son humanité. Avons-nous manqué de discernement ? Possible. Mais loin de nous l’idée de réclamer à Rome une « annulation ». Et de quoi ? de nos espoirs ? de nos emballements ? Pour nous, le temps des procès est terminé. Par-delà les blessures, parfois, la vie développe une amitié avec ceux qui furent des compagnons de route. Ainsi, il reste chez chacun de nous une gratitude pour ceux qui furent, et restent, les parents de nos enfants.
Nous aurions pu conserver une liaison discrète. Qui y aurait trouvé à redire ? Mais c’est là notre façon de faire, cher pape : reconstruire l’amour au vu et au su de la société. Nous engager sous le regard de la Nation, de nos proches, et – nous le croyons – des anges du Ciel.
« Je suis émue de te voir si confiante en l’avenir, m’écrit une ex-collègue de travail. Tu nous montres que tout peut arriver malgré les aléas de la vie, comme une petite lumière qui nous indique le chemin. »
Chrétienne, méditant l’Evangile chaque jour, je sais ce que je gagne en travaillant l’amour comme on travaille une pâte : telle cette pâte où une femme enfouit de la levure pour faire lever tout le pain. Je lève ! Ça lève en moi !
Baptisée catholique, je sais aussi ce que je perds : l’autorisation de Rome pour me nourrir du «Corps du Christ ». Cet amour renouvelé qui habite en moi me rend désormais « pécheresse publique ». De même que mon homme, si sensible et tendre, me voilà indigne des sacrements de pardon et d’eucharistie. Ou alors il nous faudrait rompre, briser ces coeurs qu’il nous est donné de restaurer.
Je ne cherche pas d’arguments théologiques. Aimer devrait suffire. Mais devant l’usage qui est fait de cette parole de Jésus : Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni, la femme blessée en moi s’indigne : comment, cher pape, ces mots seraient-ils une prison à vie pour tant de femmes battues ? Pour tant d’êtres bafoués ? Est-ce là ce que Jésus désirait ? Ne s’offusque-t-il pas plutôt de la pratique odieuse de la répudiation – bien loin des séparations consenties ? Au commencement, Dieu créa l’être humain mâle et femelle, rappelle-t-il peu avant. J’entends ici que le masculin ne gagne rien à chasser le féminin. J’entends, cher pape, une parole de libération, restauratrice de la dignité de chaque sexe et de l’harmonie qu’elle envisage entre eux.
Mais des hommes d’Eglise en ont fait un outil d’oppression.
Pas tous, certes. Des prêtres savent les efforts des couples pour maintenir un lien devenu destructeur ; ils comprennent alors la séparation – quand ces efforts ont été vains – comme un sursaut de la vie ; et ils acceptent en communion ces affamés, au nom du Christ : de Celui qui ouvre toujours des chemins nouveaux.
Des couples remariés, par ailleurs, estiment en conscience pouvoir communier. Je les remercie pour leur liberté – et pour leur foi qui est grande.
Pour moi, pour l’heure, je me rends parfois dans une assemblée protestante. Là, le pasteur s’adresse à chacun : « Partageons dans la joie le repas du Christ ». Certains diront : « Ce n’est pas là, chez eux, la présence réelle ! » Ah ? Que l’on me convainque que la communion est autre chose que cette Présence-là, aimante et vivifiante, manifestée par deux ou trois qui sont réunis en mon nom !
Voilà, pape François, notre foi : ni les erreurs de parcours d’une existence, ni les épreuves conjugales, ni les deuils, et ni les doctrines qui gagneraient pourtant à s’humaniser, comme s’y employa Jésus, rien ne nous séparera de l’amour du Christ.
Que votre synode s’ouvre à cet amour ! Que l’on cesse de fermer des églises !
Monique Durand Wood, ancien aumônier d’hôpital psychiatrique. Auteure de Ajouter foi à la folie (Cerf 2009), et de Cap sur l’espérance (Cerf 2014).
6 commentaires
Magnifique lettre, j’adhère des deux mains, de tout mon coeur…..
Muriel
très belle missive, pleine d’amour vrai et de tendresse, merci de l’avoir publiée
Bonjour à vous deux, et merci de votre passage ! Je vais signaler ces commentaires à Monique DW.
Merci , Véronique, pour la publication de cette lettre pleine d’espérance, de douceur, d’humanité tout simplement !
En ces temps assez déroutants où le dogmatisme tente de reprendre le pas, ces lignes deviennent ” un baume versé sur tant de plaies”. Ma matinée s’annonce moins grise.
Prions pour ce pape François afin qu’il poursuivre l’oeuvre qu’il a entrepris et qui s’avère si difficile et délicate.
Bravo Monique!
Je publie cette lettre ouverte qui me touche beaucoup avec l’aimable autorisation de son auteure, Monique Durand-Wood. Qu’elle en soit ici remerciée !