Ces paroles de sainte Thérèse sur la Sainte Vierge ont été recueillies par Mère Agnès le 21 août 1897 (CJ 21.8.3)
Que j’aurais donc bien voulu être prêtre pour prêcher sur la Sainte Vierge ! Une seule fois m’aurait suffi pour dire tout ce que je pense à ce sujet.
J’aurais d’abord fait comprendre à quel point on connaît peu sa vie.
Il ne faudrait pas dire des choses invraisemblables ou qu’on ne sait pas ; par exemple que, toute petite, à trois ans, la Sainte Vierge est allée au Temple s’offrir à Dieu avec des sentiments brûlants d’amour et tout à fait extraordinaires ; tandis qu’elle y est peut-être allée tout simplement pour obéir à ses parents.
Pourquoi dire encore, à propos des paroles prophétiques du vieillard Siméon, que la Sainte Vierge, à partir de ce moment-là a eu constamment devant les yeux la passion de Jésus ? « Un glaive de douleur transpercera votre âme » avait dit le vieillard. Ce n’était donc pas pour le présent, vous voyez bien, ma petite Mère ; c’était une prédiction générale pour l’avenir.
Pour qu’un sermon sur la Ste Vierge me plaise et me fasse du bien, il faut que je voie sa vie réelle, pas sa vie supposée ; et je suis sûre que sa vie réelle devait être toute simple. On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable, faire ressortir ses vertus, dire qu’elle vivait de foi comme nous, en donner des preuves par l’Évangile où nous lisons : « Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. » Et cette autre, non moins mystérieuse : « Ses parents étaient dans l’admiration de ce qu’on disait de lui. » Cette admiration suppose un certain étonnement, ne trouvez-vous pas, ma petite Mère ?
On sait bien que la Sainte Vierge est la Reine du Ciel et de la terre, mais elle est plus Mère que reine, et il ne faut pas dire à cause de ses prérogatives qu’elle éclipse la gloire de tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les étoiles. Mon Dieu ! que cela est étrange ! Une Mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants ! Moi je pense tout le contraire, je crois qu’elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus.
C’est bien de parler de ses prérogatives, mais il ne faut pas dire que cela, et si, dans un sermon, on est obligé du commencement à la fin de s’exclamer et de faire Ah ! ah ! on en a assez ! Qui sait si quelque âme n’irait pas même jusqu’à sentir alors un certain éloignement pour une créature tellement supérieure et ne se dirait pas : « Si c’est cela, autant aller briller comme on pourra dans un petit coin ! »
Ce que la Sainte Vierge a de plus que nous, c’est qu’elle ne pouvait pas pécher, qu’elle était exempte de la tache originelle, mais d’autre part, elle a eu bien moins de chance que nous, puisqu’elle n’a pas eu de Sainte Vierge à aimer ; et c’est une telle douceur de plus pour nous, et une telle douceur de moins pour elle !
Enfin j’ai dit dans mon Cantique : « Pourquoi je t’aime, ô Marie ! » tout ce que je prêcherais sur elle.
O Marie, si j’étais la Reine du Ciel
et que vous soyez Thérèse,
je voudrais être Thérèse
afin que vous soyez la Reine du Ciel!!!
8 septembre 1897
(Thérèse écrivit ces lignes, les dernières de sa vie, au dos d’une image de la Sainte Vierge, le 8 septembre 1897, septième anniversaire de sa profession, cinq semaines avant sa mort.)
Source : http://www.lecarmel.org/saints/theme-theresien/la-sainte-vierge.php
J’ai choisi ces lignes de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus pour l’évoquer en ce jour de sa fête. C’est une sainte que j’affectionne, que j’ai lue et à laquelle je suis infiniment reconnaissante de nous avoir enseigné “la petite voie” de l’abandon confiant à Dieu. Voie difficile s’il en est, car il nous faut nous dépouiller de notre sentiment de pouvoir gagner à la force de notre volonté et de nos petites mortifications personnelles notre salut.
Cependant, aujourd’hui, j’ai choisi ces lignes parce qu’une tendance, dans l’Eglise, à faire en sorte que la petite Thérèse éclipse tous les autres saints et nous fasse pousser des “Ah, ah !” m’irrite parfois un peu comme elle était elle-même irritée qu’on le fît à propos de la Vierge Marie.
A propos de sainte Thérèse, je trouve qu’on tombe parfois dans l’excès. Tenir compte de ce que sa doctrine reconnue par l’Eglise peut nous enseigner est une excellente chose. En faire l’absolu de la spiritualité en est une autre.
Combien de fois n’ai-je pas dû presque m’excuser de puiser davantage à la source des écrits de la “Madre”, sainte Thérèse d’Avila, qu’à la sienne ?
Et cela m’amène à m’interroger sur cette fascination qu’ont beaucoup d’hommes – et forcément d’hommes d’Eglise – pour les vierges.
Sainte Thérèse est morte très jeune, mais avec une maturité spirituelle étonnante. Il n’en demeure pas moins que cette sorte de candeur qu’elle dégage est liée à son très jeune âge, à son entrée au Carmel à 15 ans. Elle s’est frottée là à la rudesse de la vie consacrée, à l’aigreur et sans doute à la jalousie d’autres religieuses, mais il n’empêche qu’elle n’a pas eu l’occasion de vivre tout un pan de la vie d’une femme. Elle conserve une innocence qu’elle aurait peut-être perdue en étant immergée dans le monde sans la protection de la famille aimante qu’elle avait jeune, même si je sais bien qu’elle a perdu sa maman toute petite. Son père est pour elle une figure exceptionnelle de sainteté. Et elle n’a pas été beaucoup en contact avec d’autres hommes en dehors des clercs qui passaient au Carmel par la suite.
Parfois, je me demande pourquoi une femme non vierge attire sur elle, en Eglise, un peu de méfiance et de suspicion.
Que craint-on d’elle ? Qu’elle connaisse un peu ce qu’il y a dans l’homme, en profondeur? Qu’elle ait pu être témoin direct de lâchetés, de violence, d’égoïsme voire d’égocentrisme ? Qu’elle ait du même coup perdu ses illusions sur la gent masculine ?
La jeune vierge, je pense, fascine parce qu’elle peut garder un regard complètement admiratif sur les hommes.
La femme qui a d’eux quelque expérience est susceptible, quant à elle, de les malmener dans leur superbe.
Je pense que toute admiration masculine pour une jeune vierge n’est pas exempte de cette arrière-pensée, même inconsciente.
Et qu’une méfiance spirituelle vis-à-vis d’une femme aguerrie provient de la même tendance.
Là où la vierge consacrée et la femme aboutie peuvent se rejoindre, c’est dans la connaissance que le Christ Jésus surpasse infiniment ses frères en humanité en perfection et en sainteté.