La consécration de la basilique du Latran est tellement importante que sa liturgie supplante celle du 32ème dimanche. Pourquoi ? Constantin, l’empereur de Rome converti, avait offert au pape le palais de la famille des Laterani et on y édifia la Basilique du Saint-Sauveur : consacrée en 324, elle devint la cathédrale du pape en tant qu’évêque de Rome (ce n’est donc pas la basilique St Pierre). Au-dessus du portail on peut lire l’inscription « Mère de toutes les églises ». Elle prit ensuite son nom de Basilique de Saint-Jean-de-Latran.
C’est l’occasion de méditer sur ce mot « EGLISE » qui désigne à la fois : l’église/bâtiment, l’Eglise/communauté locale et l’Eglise universelle/Corps du Christ.
L’EGLISE MONDIALE : LE CORPS DU CHRIST
Le mot église, qui vient du grec « ek-klèsia », ne désigne donc pas d’abord un bâtiment mais la communauté de ceux qui sont « appelés-hors-de ». La personne qui donne sa foi au Christ en acceptant le baptême est retirée d’un certain genre de vie pour s’agglomérer à la communion de ceux qui croient en Jésus Sauveur et décident de vivre selon l’Evangile.
Certes cette Eglise a d’énormes défauts (goût du faste, peur des engagements, mœurs infâmes de certains membres…), il est courant de ne voir qu’eux et donc d’en faire la cible de critiques virulentes (et parfois justifiées). Cependant c’est bien pour que cette Eglise existe que Jésus a donné sa vie sur la croix. A la fin de sa vie, il a donné son Eucharistie à des convives qu’il savait menteurs et lâches (« Je donnerai ma vie pour toi » venait de dire Simon-Pierre) et il est allé à la mort non pour les récompenser mais pour les aimer jusqu’au bout, et par cet amour, les changer.
Entrer en Eglise n’est pas la récompense des parfaits ni l’assurance d’un salut automatique : elle est réponse à un appel, décision d’entrer dans un processus de conversion permanente, accueil d’exigences parfois très dures.
Mieux connue, cette Eglise du Christ fait éclater toutes les caricatures où certains veulent l’enfermer pour la dévaloriser aux yeux des jeunes. Cette Eglise traverse tous les temps et toutes les frontières, elle a commencé depuis longtemps le processus de mondialisation en créant un immense réseau international de cliniques, d’hôpitaux, d’écoles, d’universités. Dans toutes les zones de pauvreté, de détresse, de conflits, des chrétiens travaillent dans l’ombre, bâtissent, consolent, éduquent, soignent. Longtemps étouffés par une idéologie matérialiste, des Russes, des Albanais, des Chinois, des Cambodgiens, par millions, découvrent enfin l’espérance et demandent le baptême à cette Eglise qu’on leur présentait jadis comme une ennemie infâme.
Entrer en Eglise est donc une vocation, un honneur pour lequel il faut sans cesse rendre grâce, et en même temps une mission, celle d’appeler tous les hommes à sortir de l’égoïsme, de l’indifférence et du désespoir. Tâche qui rencontre refus, hostilité, haine. C’est pourquoi l’Eglise n’est pas seulement objet de sarcasmes : lorsqu’elle remplit sa mission, elle dérange beaucoup. Selon une source récente, plus de 100 millions de chrétiens subissent aujourd’hui la persécution et sont battus, chassés, violés, assassinés. L’Eglise chrétienne est reconnue comme la communauté la plus persécutée du monde ; jamais dans son histoire elle n’a compté autant de victimes et de martyrs. Bien souvent dans le silence des médias et, hélas, dans l’ignorance et l’indifférence des baptisés des pays nantis.
L’Eglise ne se réduit pas à une organisation avide d’augmenter ses effectifs et de manifester sa force : elle est LE CORPS DU CHRIST. En effet, au grand bouleversement des apôtres qui se croyaient d’abord disciples de Jésus (comme il y avait eu les disciples de Jérémie, de Jean-Baptiste, de Bouddha…), Jésus leur révéla qu’il allait les transformer de façon inimaginable :
« Encore un peu et le monde ne me verra plus. Vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi. En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous…Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole et mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure… » (Jn 14, 19-23).
L’évangile de ce jour nous révèle que la réalité de l’Eglise dépasse de loin la beauté de la basilique du Latran et de toutes les cathédrales du monde (qui n’en sont que les images de pierre).
« VOUS ETES LE TEMPLE DE DIEU » (Saint Paul : 1ère aux Cor 3, 16)
Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : « L’amour de ta maison fera mon tourment ». Des Juifs l’interpellèrent : «Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : «Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ??! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Voilà 46 ans que le roi Hérode avait lancé les travaux pour réparer le vieux temple et en faire un des plus beaux édifices religieux du monde. Et tout autour de l’immense esplanade par laquelle on y accédait, le grand prêtre avait autorisé l’installation de marchands d’animaux (pour les sacrifices du culte) et des changeurs (pour payer l’impôt annuel). Initiative très lucrative car le prélat retirait un pourcentage juteux de ce trafic ! Jésus, scandalisé, commence le nettoyage de toute cette foire qui souille « la Maison de son Père ». Et, mieux encore, il annonce une révolution : bientôt le lieu du culte, la Demeure de Dieu, ne sera plus un bâtiment de pierres mais SON CORPS.
Déclaration incompréhensible qui a laissé tous les spectateurs pantois et incrédules. Mais lorsque Jésus fut ressuscité, ses apôtres comprirent qu’il avait été, sur la croix, l’agneau unique immolé pour le pardon des péchés du monde et qu’il était dorénavant le sanctuaire vivant, le Corps, auquel, par la foi, les disciples pouvaient d’adjoindre pour devenir son Eglise, la véritable Maison où peuvent accéder les hommes de toutes les nations qui deviennent les enfants du Père.
Lorsque, 40 ans plus tard, en l’an 70, suite à la révolte juive, les Romains incendièrent et rasèrent le Temple (qui venait d’être achevé) au grand désespoir du peuple, les chrétiens ne se sont pas réjouis mais ont répété que l’on ne détruirait jamais le temple spirituel de l’Eglise.
Magnifique est la basilique du Latran – ainsi que tant de cathédrales du monde -, modestes et fragiles sont nos petites églises de village. Traverseront-elles le temps ? Seule a la promesse d’éternité l’Eglise vivante, communauté universelle, Corps du Christ.
Veillons sur nos édifices mais sans oublier que la réalité essentielle, c’est « la paroisse », la cellule de base de l’Eglise, la communion des croyants qui se réunissent tous les dimanches autour de l’autel afin de devenir de mieux en mieux « le Corps du Christ » et témoigner, en chaque lieu du monde, que la beauté d’une église, c’est l’amour divin qui unit ses membres.