Une morale commune souvent admise sur cette parabole : Dieu nous confie ses biens, il faudra lui rendre des comptes… Si l’identification semble si facile, est-ce seulement à ce constat que nous conduit l’Ecriture ? Cette parabole nous pousse à aller plus loin, pour rejoindre le cœur de la Bonne Nouvelle sur laquelle nous cherchons à miser notre vie, chacun selon son charisme, son état de vie, son ou ses talents. Laissons-nous étonner par cette curieuse histoire utilisant le langage des affaires, le langage de la finance, le langage du calcul.
Un homme part et, dit le texte original, transmet à trois de ses serviteurs les pleins pouvoirs sur ses biens. L’homme qui part, livre littéralement sa fortune, comme on dit habituellement qu’on livre un prisonnier, qu’on livre une marchandise : c’est livré une fois pour toute. Ce que donne cet homme, c’est sans esprit de retour. D’ailleurs il part sans dire qu’il reviendra. Le texte original grec est vraiment radical ! Ne pas l’oublier !
Cet homme donne à chacun selon sa capacité de dynamisme, selon sa force propre. Sommes-nous un peu choqués par cette inégalité de traitement ? A l’un 5, à l’autre 3, au dernier 1 seulement… L’assimilation de la nourriture nous éclaire. Il ne suffit pas de recevoir de la nourriture, encore faut-il pouvoir l’assimiler selon sa force propre. Si je reçois plus de nourriture que je ne peux en assimiler, où bien je l’accepte et je me rends malade, ou bien je la refuse, et je refuse le don qui m’est fait. La manière de donner de cet homme est donc attentive à ses serviteurs.
Une fois l’homme parti, le don va littéralement travailler les 2 premiers serviteurs de l’intérieur. Ils se sont appropriés les talents reçus de leur maître. ils manifestent déjà une même capacité : faire un bénéfice net de 100 % ! Il faut remarquer que l’absence du maître dure le temps nécessaire à ce que chacun ait pu faire doubler le don initial. Se rappeler que la valeur d’un talent représentait à cette époque + de 15 ans de salaire d’un ouvrier…
Le troisième serviteur au contraire ne s’approprie pas le talent confié. Le talent reste extérieur à lui. Le talent reste celui du maître. De fait il l’enterre. Cette action n’est pas mauvaise : à cette époque, cela signifie la plus grande sécurité et cela dégage le dépositaire de toute responsabilité.
Souvent c’est là que se greffent nos commentaires : avec l’interprétation que le maitre confie ses biens, avec une arrière pensée de retour, de reprise. Ce n’est pas ce que nous dit le texte. Le texte littéral utilise les termes d’un don qui a été fait sans idée de retour…
Mais quand le maitre revient, les serviteurs n’ont-ils pas à lui rendre des comptes ?
La traduction liturgique dit que le maitre demande des comptes. Mais le terme grec, traduit par «comptes » se dit avec le même mot que « parole » : « λογος ». Autrement dit, le maitre demande des paroles. Oui il demande de rendre compte mais ce n’est pas autre chose que raconter. Le maître demande à ses serviteurs de faire le compte rendu de ce qui s’est passé, le récit de l’usage fait des talents donnés. Et les 3 serviteurs vont, chacun, effectivement raconter ce qui s’est passé.
Les deux premiers apportent ce qu’ils ont gagné : les nouveaux talents. Ils ne mentionnent que les nouveaux… Le maître voit ce que ses serviteurs lui montrent, il entend ce qu’ils lui disent. Il déclare que cela est bien. Rien ne dit qu’il cherche ou désire reprendre ce bien. Comme dans la Genèse, dans le récit de la création, il reconnaît le bien de l’action : « Dieu vit que cela était bon ». C’est un dialogue de reconnaissance. C’est cette reconnaissance que va rater le troisième serviteur, en laissant extérieur le talent reçu.
Ce dialogue de reconnaissance va faire entrer les serviteurs dans la joie de leur maitre.Il y a changement de statut. En effet, sont-ils encore serviteurs dès lors qu’ils participent à ce qui anime au plus profond leur maître ? Quelque chose maintenant n’est absolument plus quantifiable : ils entrent dans une joie sans retour, une joie imprenable… Voilà ce à quoi ouvrent leur attitude : leur appropriation des biens reçus et la fructification produite transforment ces serviteurs. Ils ne sont plus serviteurs, ils deviennent comme le maître : animés, traversés par une même joie. Ce qui se joue de manière fondamentale n’est donc pas au final un accroissement de richesse mais l’accès à un autre statut : il n’y a plus ni maître, ni esclave, ni serviteur, il n’y a plus que des frères qui, dorénavant, sont unis par une même joie.
L’audace de la parabole nous introduit dans une autre logique. Le monde des biens, du quantitatif existe. Mais la force et la vérité de l’économique sont relativisés puisque cinq peut être égal à deux quand cela permet à un homme d’accéder à sa maturité, lorsqu’il peut advenir et être reconnu. L’homme est appelé à entrer dans la plénitude d’une relation libre avec autrui. « Je ne vous appelle plus serviteur mais amis » dira Jésus à ceux et celles qui l’entourent juste avant de vivre sa Passion. A nous de l’entendre !
P Xavier Jahan sj
Source : http://nda33.fr/33e-dim-ordinaire-la-parabole-des-talents-matthieu-25-14-30/