Lévitique 13, 1-2. 45-46
Psaume 31
1 Corinthiens 10, 31 – 11, 1
Marc 1, 40-45
1) Faut-il admirer et imiter le lépreux de l’évangile d’aujourd’hui ?
D’une part, sa foi est grande dans la puissance de Jésus de le guérir : « Si tu veux, tu peux ». Il proclame et répand la nouvelle. Serait-il une préfiguration des prédicateurs de l’évangile ? ( Mais, d’autre part, il désobéit à Jésus qui lui demandait sévèrement de se taire. On voit aussi que Jésus est à la fois « pris de pitié » et en même temps le « renvoya avec sévérité » (la TOB traduit «s’irritant contre lui »). Autrement dit, Jésus est divisé à l’égard de ce malheureux. Il veut que le lépreux soit guéri et en même temps, il manifeste qu’il y a dans la démarche de cet homme quelque chose qui le contrarie et qu’il ne supporte pas. Jésus veut bien ce que veut le lépreux mais le lépreux ne veut pas ce que Jésus veut. Il devient un témoin indépendant qui fait sa volonté plutôt que celle de Jésus. Celui-ci, en effet, lui avait demandé : 1) de se taire, 2) d’aller voir le prêtre au Temple et 3) de se soumettre à la Loi. Le lépreux prend la place de Jésus qui, du coup, ne peut plus parler et doit éviter les lieux habités. Si la voix du prédicateur empêche d’écouter la parole de Jésus, il y a un problème !
2) Entre trop parler et ne pas parler du tout.
Si nous passons de ce chapitre 1 de St Marc au chapitre 16, (le dernier de l’Évangile), « les femmes au tombeau », nous avons une inversion complète de la situation par rapport au lépreux guéri ! Un jeune homme vêtu d’une robe blanche dit aux femmes : « Allez dire aux disciples et à Pierre que Jésus les précède en Galilée. Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur» (Marc 16, 7-8). Ce qui leur arrive est tellement énorme, incroyable, qu’elles ne peuvent le mettre en paroles et communiquer l’événement. Il leur faut du temps pour concevoir l’inconcevable et accoucher d’un message. Elles en sont au temps de la gestation, ce n’est pas encore le moment de « dire ». Faut-il préférer l’épisode du tombeau à celui du lépreux ? Entre ces deux extrêmes, nous pouvons penser à l’épisode de la Samaritaine (Jean 4). Ayant abandonné sa cruche « la femme s’en fut à la ville et dit aux gens : Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ?… Beaucoup de samaritains avaient cru en lui à cause de la parole de la femme… bien plus nombreux encore furent ceux qui crurent à cause de sa parole à lui… »
3) Comment parler de Jésus aujourd’hui ?
Notre monde est bien différent de celui du temps de Jésus. Et pourtant, l’Église a reçu la mission d’annoncer à tous les hommes l’espérance et la vie apportées par Jésus « jusqu’à la fin des temps» (Matt 28,20). Depuis Jean-Paul II, on parle de « nouvelle évangélisation » pour enrayer le déclin de la foi chrétienne. Benoît XVI a repris ce même thème et demande souvent, aux JMJ, dans ses homélies et discours, de ne pas taire notre foi. Saint Paul déjà invitait à « proclamer la parole à temps et à contre temps » (2 Tim 4).D’où, pour certains, le désir de se montrer, par exemple de faire des processions dans les rues, d’attirer du monde dans des réunions pour entendre des «témoignages » de convertis qui se racontent volontiers ou qui écrivent des livres sur leur histoire personnelle. Nous assistons ainsi, actuellement, à deux sortes d’évangélisation. L’une plus «identitaire » qui, pour parler de la transmission de l’Évangile, emploie volontiers les mots d’enseignement, de doctrine, et invite à des actes de piété bien visible. Les gens de mon âge ont connu cette façon d’être chrétien déjà avant le Concile, il y a plus de cinquante ans. Cette attitude est fondée sur la conviction que seule l’Église a la vérité. Mais qu’est-ce que la vérité ? demandait Pilate.
L’autre façon d’évangéliser, héritée de Vatican II, se veut plus « missionnaire ». Elle mise sur le dialogue, la fraternité, des messages d’amitié, aussi bien avec les autres religions qu’avec les «non-croyants ». Cette attitude est fondée sur la conviction que Jésus, sauveur du monde, agit par son Esprit, au-delà des frontières ecclésiales. Et, dans le dialogue, le silence et l’écoute ont leur place. Ainsi y a-t-il un temps pour parler et un temps pour se taire mais toujours pour témoigner. Dans l’évangile de ce jour, si Jésus demande au lépreux de se taire, il lui demande aussi de témoigner en faisant reconnaître officiellement sa guérison. On connaît le mot de Nietzsche : « Si les chrétiens avaient l’air plus heureux… ! », la joie d’être déjà, un peu, non seulement guéris mais ressuscités ! Voila un témoignage qui interroge, surtout quand il vient de croyants qui portent leur croix avec humilité. « Être chrétien ce n’est pas seulement posséder la vérité, c’est d’abord une chance. L’enjeu n’est pas d’avoir raison de l’autre ou contre lui, mais de témoigner qu’il existe une qualité d’amour telle qu’elle donne à la vie humaine toutes ses couleurs » (1).
Un mot encore à propos de ce renvoi au prêtre et à la Loi dont parle l’évangile. Il est habituel que Jésus n’enferme pas celui qu’il guérit dans une relation duelle. Il renvoie à un tiers soit par son attitude (par exemple : « levant les yeux au Ciel »), soit, comme ici, en renvoyant à l’institution religieuse que représentent le prêtre et la Loi. Dans notre témoignage, individuel ou collectif, sur Jésus il y a toujours un renvoi nécessaire à l’Église. C’est elle le corps terrestre du Ressuscité et non tel individu ou tel groupe qui se dit chrétien.
Frère Antoine
(1) Martin Steffens « Vivre ensemble la fin du monde » Salvator 2012, p. 55-56.
Source : http://www.abbaye-tamie.com/la_communaute/la_liturgie/homelies_tamie/homelies-2015/dimanche-to-6/vue
1 commentaire
L’homélie du pape François dimanche 15 février 2015 était admirable. J’en mets un lien ici :
http://rome-vatican.blogs.la-croix.com/la-logique-du-pape-francois/2015/02/17/