Les Égyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ;
ils nous ont imposé un dur esclavage.
Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères.
Il a entendu notre voix,
il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression.
Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte
à main forte et à bras étendu,
par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges.
Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays,
un pays ruisselant de lait et de miel.
Deutéronome 26, 6-9
Textes liturgiques©AELF
J’aime bien, quand je médite l’Ecriture, l’actualiser à notre époque. Je sais que les biblistes font exactement l’inverse : décrypter l’historicité du texte. Je ne suis pas bibliste, mais je suis éprise de la Parole de Dieu, et cela me laisse bien le droit de l’interpréter aussi selon les signes des temps.
Depuis longtemps, je ne peux m’empêcher, en lisant les textes qui parlent de l’esclavage des Hébreux en Egypte, de les mettre en parallèle avec la vie des femmes de tous les temps. Essayez de lire cet extrait en mettant “les hommes” à la place des Egyptiens et d’entendre “les femmes” derrière le nous.
Bien sûr, on va m’objecter que cela n’a aucune réalité dans le monde occidental. J’y reviendrai. Pensons par contre à nos sœurs de tous les pays qui connaissent la misère économique et l’oppression de certaines religions. Qui est là-bas en position d’esclave d’un père, d’un frère, d’un mari, d’un beau-père ? Qui souffre et ploie sous la charge des travaux domestiques, le devoir d’obéissance, la restriction d’accès à l’éducation et à la culture ? Qui cultive la terre pendant que l’homme palabre, qui s’adonne à la corvée de la recherche de l’eau, qui endure la chaleur du jour avec un enfant dans le ventre ou sur le dos ? Et je ne parle même pas des esclaves sexuelles détournées de leurs villages dans leur jeunesse pour être livrées à leurs prédateurs, quand elles ne sont pas mariées de force, ce qui revient un peu au même…
Je peux dire que je bénis le ciel chaque jour de n’être pas née dans une telle contrée ou dans une époque pas si lointaine qui m’aurait, même en occident, privée du droit de lire et d’écrire, d’étudier, de posséder mon propre compte en banque, de voter et de vivre seule et indépendante si tel est mon souhait. Peut-être suis-je justement née à cette époque et en ces lieux pour dénoncer ce qu’aucun homme religieux, jusqu’à un temps très récent, n’a osé faire. D’ailleurs le font-ils, même aujourd’hui ? Le parallèle que j’ose dans cet article ne leur viendrait tout simplement pas à l’esprit, tant ils considèrent comme normal d’être servis par les femmes, au quotidien, en Eglise, en paroisse, à l’hôpital, quand ils deviennent âgés… C’est même récurrent dans les homélies catholiques que d’appeler au service, en visant apparemment tout le public, mais en récoltant surtout le service des femmes, encore et toujours… Qui a jamais trouvé anormal, en prêchant sur Luc 4,38-44, que la belle-mère de Pierre, à peine remise de sa fièvre, ait servi Jésus et les disciples ? Et Pierre, ne pouvait-il accomplir ce service lui-même ?
On me rétorquera que la femme occidentale a bien pris sa revanche. Je n’en suis pas si sûre. Pour une partie d’entre elles, elles ont des postes à responsabilités, dirigent aussi des hommes. Mais il est bien connu qu’à charges égales, elles sont moins bien rémunérées qu’eux. Et nombre d’entre elles vivent la double journée : travail et tâches domestiques qui leur incombent encore toujours plus qu’aux hommes, notamment dans notre pays. Quant aux autres, dans leur immense majorité, dans quels métiers sont-elles surreprésentées ? Tous les métiers de service à la personne, ceux qui sont durs, ingrats et mal payés. Qui a un homme de ménage chez lui ? Qui a dû se résoudre à trouver un aide à domicile pour son parent âgé ? Qui a déjà vu un homme nettoyer les toilettes publiques ? Je pourrais poursuivre la liste indéfiniment.
Eh bien, à méditer cet extrait du Deutéronome, je peux dire que le temps où le Seigneur conduit ces esclaves de toujours vers un pays “ruisselant de lait et de miel” n’est pas encore advenu. Il y a l’espérance en la Résurrection, heureusement. Mais pas seulement. Dans la foi et la prière, je suis sûre que Dieu n’a pas dit son dernier mot, et qu’il nous fera sortir de l’Egypte de l’oppression par l’homme pour une terre nouvelle sous des cieux nouveaux, où cet état de fait de toujours ne sera plus. Les signes terrifiants des temps que nous vivons sont là pour nous en avertir. Comprenne qui pourra.