Jérusalem disait :
« Le Seigneur m’a abandonnée,
mon Seigneur m’a oubliée. »
Une femme peut-elle oublier son nourrisson,
ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ?
Même si elle l’oubliait,
moi, je ne t’oublierai pas.
Isaïe 49, 14-15
Textes liturgiques©AELF
Je viens de relire Isaïe du chapitre 49 au chapitre 55. Comme je l’ai dit souvent ici, je ne suis ni bibliste, ni théologienne. Ce qui permet à beaucoup de monde de ne pas me prendre au sérieux quand j’avance une interprétation des Ecritures. Et pourtant, ce qui aux yeux de certains fait pour moi ma faiblesse, je le vis comme une chance et une liberté suprême : je laisse à l’Esprit saint tout loisir d’enchanter mon âme et de l’enseigner à sa guise et à sa façon.
Personne ne sait ce que Jésus a fait pendant ses trente années de vie cachée, sinon d’exercer le métier de charpentier. Il n’a certainement pas étudié à la manière d’un scribe ou d’un docteur de la Loi. Je le vois plutôt prier intensément, le rabot à la main, écouter avidement la Parole de son Père à la synagogue, se faire son idée sur les commentaires qu’il en entendait, et prendre le temps de méditer longuement sous un figuier pour comprendre le sens caché de toutes ces Ecritures, déceler dans les Psaumes et les Prophètes ce qui le concernait directement. Et je suis sûre qu’alors, dans sa prière solitaire à l’aube, Dieu lui-même le confirmait dans tout ce qu’il comprenait de son Etre et de sa mission.
Ainsi, très tôt, j’en suis sûre, Jésus s’est reconnu dans le “Serviteur” d’Isaïe. Et a compris que de façon inéluctable, en entrant dans sa mission de prédication du Royaume, il marcherait vers une mort infâme, celle de l’extrait d’Isaïe 53 que nous lisons à la célébration du Vendredi Saint. Le Père avait préparé les chemins du Fils longtemps à l’avance, en les soufflant à l’oreille du prophète Isaïe. Qui aurait pu être maître spirituel du propre Fils de Dieu sinon le Père lui-même, par les saintes Ecritures ?
Or, dans cet extrait d’Isaïe, du chapitre 42 au chapitre 55, en particulier à partir du chapitre 49, on assiste à une sorte de dialogue entre le “Serviteur” et Jérusalem. Aux deux, Dieu promet, après bien des souffrances, la justification. Que le Christ Jésus soit le Serviteur, cela ne peut faire aucun doute. Mais qui est Jérusalem ? Dieu mettrait-il donc en parallèle un homme, et pas n’importe quel homme : son propre Fils, et une ville ? Une ville, toute sainte soit-elle, naît et peut disparaître. C’est dans cette ville qu’est mort le Messie d’Israël. C’est cette ville qui s’entredéchire depuis des siècles dans des luttes sans issue. Cette ville, dans la vie éternelle ouverte par la résurrection du Christ, n’a plus aucune signification. Elle passera, comme passera toute la présente création.
Aiguisons notre regard, et constatons que toutes les métaphores concernant Jérusalem sont féminines, portent sur la stérilité ou la maternité, la conjugalité ou la répudiation, la fidélité ou l’abandon. Le Serviteur d’Isaïe va vers une mort à travers laquelle il sera glorifié. Et ainsi du Christ Jésus. Quant à Jérusalem, après des années de disgrâce et de souffrance, elle est consolée, rétablie dans l’amour du Père, justifiée puis élevée dans la gloire au rang d’Epouse.
Et personne, jamais, ne se demande qui est cette femme dans toutes les métaphores sur Jérusalem ? N’est-ce pas à elle que revient d’annoncer toutes les beautés promises dans le Livre d’Isaïe, et qui jamais jusqu’à aujourd’hui ne se sont réalisées sur cette terre ?
Oui, dans la joie vous partirez, vous serez conduits dans la paix. Montagnes et collines, à votre passage, éclateront en cris de joie, et tous les arbres de la campagne applaudiront.
Au lieu de broussailles poussera le cyprès, au lieu de l’ortie poussera le myrte. Le nom du Seigneur en sera grandi : ce signe éternel sera impérissable.
Isaïe 55, 12-13
Textes liturgiques©AELF
Image : Jérusalem personnifiée – Enluminure – Guiard des Moulins, Bible