Chers frères et sœurs, lorsqu’au jour de notre baptême le prêtre ou le diacre a versé de l’eau sur notre tête, en prononçant ces paroles : « Je te baptise au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit », nous sommes devenus à cet instant « enfants de Dieu ». Voici que l’on pouvait dire de nous : un être nouveau est apparu, une création nouvelle a jailli de la fontaine baptismale, voici que nous avons été « divinisés », c’est-à-dire rendus capables de « rendre gloire à Dieu » par toute notre vie, jusqu’à notre dernier souffle. Frères et sœurs, nous pouvons alors dire en vérité : « Il est grand le Mystère de la foi ! » qui, en cet instant, nous a « faits chrétiens ».
À l’opposé de la magie, ce rite du baptême ne cherche pas à « tirer Dieu » jusqu’à l’homme, mais Dieu lui-même, par le ministère de l’Église, descend jusqu’à l’homme comme la rosée du matin. Il accorde à la nouvelle personne sortie du sein maternel que je suis, cet « être nouveau» que nous appelons « la vie dans le Christ », la vie de grâce. En cet instant du baptême nous voici littéralement « plongés dans le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », rendus participants de ce grand Mystère d’Amour qui est au cœur même de la Sainte-Trinité. Ce Mystère de Foi est à aimer et à contempler. Un Dieu unique, en trois personnes distinctes, mais en relation intime entre elles. « En vérité, dit saint Augustin, tu vois la Trinité si tu vois l’Amour». Raconter ce qu’est Dieu, cela ne peut et ne doit rien vouloir dire d’autre que raconter l’Amour de Dieu. Frères et sœurs, nous parlons et nous entendons beaucoup parler d’amour, au risque d’en affadir le sens. Pour les chrétiens, l’Amour en Dieu, c’est quelqu’un, c’est un Dieu personnel qui, dès les origines de la création du monde, s’est révélé un Dieu bon, un Dieu vrai, un Dieu « Ami des hommes ». C’est un Dieu qui, en Jésus Christ, a révélé son visage, le visage du « plus beau des enfants des hommes », (Ps. 44) faisant de l’homme le Temple de l’Esprit, la demeure où Dieu vient dévoiler son secret.
Frères et sœurs, Dieu seul peut nous introduire dans le Mystère de Dieu. Seule la Trinité peut nous introduire dans le secret de sa vie mystérieuse. Comme elle est vraie la Parole du Seigneur : « Je te loue, Père (…), de ce que tu as caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout- petits ! » (Mt 11,25) Adorer la Sainte-Trinité, c’est reconnaître notre petitesse face à ce grand Mystère, mais aussi notre capacité à entrer en relation personnelle avec elle en disant : « Tu es mon Dieu ! » Sa grandeur ne m’écrase pas, elle m’élève ! « Si on nie la Trinité, on nie la beauté » : ce Mystère d’un Dieu unique en trois personnes est un Mystère de beauté de l’Amour. « Quel Dieu est grand comme notre Dieu ? Tu es le Dieu qui fait des merveilles ! » Cette acclamation que nous chantons dans notre liturgie, en ce jour de Fête, dit ce qui est au cœur de notre Foi : l’émerveillement de l’enfant face à son Dieu trois fois saint, qui en Jésus Christ a dévoilé son visage. Dieu toujours cherché dans l’obscurité de la foi, trouvé comme celui qu’on ne peut jamais posséder, si ce n’est dans la dépossession de soi-même. En nous donnant son Fils unique, Dieu le Père nous a tout donné… En nous donnant Jésus, il s’est donné lui-même, afin qu’à notre tour nous puissions nous donner à lui, dans le Christ.
Pour ce don que tu es, Seigneur, nous te rendons grâce, par le Fils, dans l’Esprit Saint. Amen !
Frère Jean de l’abbaye cistercienne de Sénanque
(Messe télévisée du 3 juin 2012)
Source : http://www.lejourduseigneur.com/Web-TV/Homelies/Temps-Ordinaire/Sainte-Trinite/B/Homelie-de-la-messe-a-l-abbaye-de-Senanque
Image : Icône de la Trinité Andreï Roublev
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Et l’homélie du 3 juin 2012 à Tamié :
– Le mystère de la Très Sainte Trinité : voilà de quoi donner des frissons à un prédicateur ! On a écrit là-dessus des bibliothèques, et les plus grands génies du christianisme, théologiens, poètes, artistes, ont essayé de nous faire entrevoir la beauté éblouissante de ce mystère. Pourtant, frères et soeurs, on peut écrire de gros livres de théologie sans parvenir à égaler la richesse d’un simple geste, un geste que nous avons appris à faire depuis notre enfance. Lequel ? Voici : avec la main droite, on touche d’abord le front, puis la poitrine, puis l’une et l’autre épaule, en traçant une croix. En même temps, on accompagne ces mouvements par les paroles : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Oui, le signe de la croix. Nous n’y pensons peut-être pas, mais il y a dans ce geste une synthèse théologique étonnante de profondeur et de densité. Il y a là tout ce qu’il faut pour exprimer le mystère de notre Dieu – dans la mesure où nous pouvons balbutier l’indicible.
Tout d’abord, il y a trois noms noués dans l’unité, mais une unité qui en même temps les distingue. Et ces trois noms sont prononcés comme s’ils jaillissaient d’une croix. Pour expliquer tout cela, un théologien aurait besoin d’un cours fort savant, farci de références à l’Écriture, aux Conciles, aux docteurs de l’Église ; or, un enfant exprime tout cela par un simple geste, lorsqu’il franchit le seuil d’une église ou qu’il commence sa prière.
Qu’est-ce que ce geste veut dire, et qu’est-ce qu’il nous révèle du mystère de Dieu ? Deux choses.
En premier lieu, un fait à la fois simple et extraordinaire, au-delà de toute intelligence humaine : Dieu, l’unique Dieu, le seul Dieu qui existe, comme disait le livre du Deutéronome dans la première lecture, recèle en son sein un mystère de communion. Dans l’intimité de Dieu se déploie une vie mystérieuse, que nous exprimons par ce mot : « Trinité ». Ici, notre signe de croix est suggestif, plein de sens : le Père en haut, source de la vie, origine de tout ce qui existe, principe sans principe, disent les théologiens ; le Fils qui vient du Père, et qui en descend presque, représenté par le mouvement de la main qui descend sur la poitrine ; l’Esprit qui en quelque sorte enveloppe, entoure, unit le Père et le Fils, symbolisé par le mouvement de la main qui touche les épaules. Voilà les Trois, bien distincts, et pourtant enlacés, noués dans un geste unique, pour signifier une unité indivisible, plus profonde encore que la distinction.
Voilà la première chose que le signe de croix nous enseigne. Mais il y en a une deuxième, et elle est très importante. Ce Dieu unique, qui pourtant n’est pas solitaire, mais communion de Trois Personnes, vient à notre rencontre. Il se fait connaître en Jésus, et tout spécialement dans cet événement central de la vie de Jésus qu’est sa mort sur la croix. C’est là, sur la croix, que Jésus nous dévoile le secret de son être et de sa mission. Ce secret, c’est l’offrande de sa vie au Père par amour des hommes. Dans l’Esprit-Saint, dans l’Esprit d’amour, Jésus le Fils remet sa vie entre les mains du Père, et par sa mort il efface tout le péché du monde, il prend sur lui tout le poids de nos fautes et nous en délivre, nous obtient le pardon de Dieu. Dans la croix de Jésus, Dieu qui est Père, Fils et Esprit, nous révèle son visage, le mystère de son être : il est Amour, Miséricorde et Pardon.
Frères et soeurs, je laisse le mot de la fin à un saint moine de l’Église russe, peut-être le plus grand peintre d’icônes qui ait jamais existé : Andreï Roublev. Je crois que, presque tous, vous avez eu l’occasion de voir, une fois ou l’autre, une reproduction de son chef-d’oeuvre : l’icône de la Trinité. Le Père, le Fils et l’Esprit, représentés sous les traits de trois anges éblouissants, enlacés entre eux par le jeu des ailes dans un demi-cercle de lumière, sont assis sur des tabourets autour d’un autel. Cependant, le cercle n’est pas fermé : le devant de l’autel est complètement dégagé, comme pour faire place à un quatrième convive. Sur l’autel est posée une coupe avec un petit agneau : allusion transparente à l’eucharistie.
Il me semble que par là le peintre a voulu suggérer ceci : c’est dans le sacrifice du Christ que se révèle pleinement l’Amour sauveur de Dieu, l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit, qui n’est pas fermé sur lui-même, mais qui déborde sur le monde, s’incarne en Jésus et se fait eucharistie, Corps livré et Sang versé pour la rémission des péchés. Chacun de nous est invité à occuper la place vide que les Trois Personnes ont laissée devant l’autel ; chacun de nous est invité à s’asseoir à cette table eucharistique et à se nourrir de l’agneau immolé, afin d’entrer ainsi dans le cercle divin, dans l’échange d’amour éternel qui unit le Père, le Fils et l’Esprit. Nous allons maintenant célébrer et recevoir ce grand sacrement de l’eucharistie qui nous introduit dans la vie trinitaire, dans le mystère de ce Dieu qui est amour, communion et don, pour que nous soyons à notre tour les témoins de son amour parmi les hommes.
Frère Raffaele