En ce temps-là, comme tout le monde était dans l’admiration devant tout ce qu’il faisait, Jésus dit à ses disciples :
« Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. »
Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, elle leur était voilée, si bien qu’ils n’en percevaient pas le sens, et ils avaient peur de l’interroger sur cette parole.
Luc 9,43b-45
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L’Evangile est pourtant clair : le Christ Jésus savait qu’il allait être livré aux mains des hommes pour une mort infamante, comme l’agneau immolé pour les péchés de ses frères et sœurs en humanité passés, présents et à venir. Pourquoi vouloir souvent, de nos jours, édulcorer ces passages de l’Ecriture, se récrier à l’idée que Jésus ait eu à vivre une mort expiatoire, qu’il le savait d’avance et qu’il l’acceptait dans la pleine connaissance qu’il avait d’être le Fils de Dieu rejeté par le peuple dont il était issu, du moins par ses plus hauts représentants religieux ?
Je n’adhère pas à ces développements théologiques qui voudraient que la crucifixion de Jésus ait été un “accident de l’histoire”. C’était écrit d’avance en Isaïe et dans les Psaumes et cela fut. Annoncé aussi par les rituels de la Pâque juive.
Je crois qu’à la différence des disciples contemporains de Jésus, je comprends parfaitement cette parole. Et que pour autant, j’aime infiniment Dieu le Père et que je ne le considère pas du tout comme assoiffé du sang de son Fils. C’est retourner complètement le sens de la rédemption que de postuler cela.
Les hommes, dans leur faible nature, sont ainsi faits : ils ne se consolent de leur malheur que s’ils peuvent contempler quelqu’un qui l’ait vécu avant eux. Un condamné à mort pourra trouver consolation dans la figure du Christ immolé, qui Lui, au moins, peut le comprendre. Il a vécu l’infamie dont il était en outre totalement innocent. Une mère qui vit la déchirure de perdre un enfant peut se réfugier dans les bras de Marie tenant le corps sans vie de Jésus dans ses bras.
Dieu ne veut jamais le sang et les larmes pour assouvir je ne sais quel appétit cruel.
Au contraire, il se donne lui-même, dans la chair de son Fils dont il partage tous les tourments, pour que nous ayons accès nous aussi au salut.
Je tiens particulièrement à ce point de doctrine, car ceux qui le nient nient aussi qu’à la suite du Seigneur Jésus, on puisse, par amour pour lui, pour le Père, pour nos frères et sœurs en humanité, vivre soi-même une vie expiatoire.
La théologie contemporaine tend à le nier. Pourtant, des générations d’ordres cloîtrés sont là pour témoigner de la réalité des vies oblatives. Il y a si peu de foi dans le monde d’aujourd’hui, et en particulier en Europe ! Et ce serait se fourvoyer que d’entendre au plus profond de soi l’appel à une vie d’expiation, d’intercession pour ceux qui doutent ou se perdent ?
Cela ne veut pas dire qu’une telle vocation confine au malheur et à la souffrance permanente. Là n’est pas la question. Le Christ Jésus a déjà assumé dans sa chair martyrisée tout le péché du monde. Mais il a aussi été heureux, joyeux même, au milieu des siens et des foules !
Ainsi, même en menant une vie oblative, on peut avoir de grands moments de bonheur. Mais quand vient la persécution par le monde et par l’Eglise – elle qui a persécuté tous les plus grands saints – on peut se réfugier dans le Christ crucifié pour verser en son cœur ses torrents de larmes.
Car si notre monde pèche à l’excès, il est aussi en situation permanente de blasphème contre l’Esprit saint. Et les oblations pour cette cause ne passent pas forcément par la souffrance de la chair. Il est des tortures psychiques et spirituelles qui peuvent surpasser les tortures physiques en intensité, et offertes dans l’abnégation au Seigneur, elles ont elles aussi valeur de rédemption.
Mais je sais d’avance qu’on ne percevra pas le sens de ma parole et que peu auraient le courage de m’interroger à ce sujet…
Image : La Vision de sainte Thérèse d’Avila Rubens – vers 1612-1614 © domaine public / Musée Boijmans Van Beuningen