En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
« Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.”
Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas.
Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. » Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu.
Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »
Matthieu 21,28-32.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Je m’attarderai aujourd’hui sur la fin de cet extrait de Matthieu 21. On voit que Jésus s’adresse, comme souvent, aux grands prêtres et aux anciens du peuple qui ont dû s’irriter au plus haut point de sa parole. Nous chrétiens la connaissons par cœur et elle ne nous choque presque plus. Quand cet évangile est lu à la messe, à peine nos oreilles en sont-elles écorchées.
Il faut remettre ces paroles dans leur contexte : dans la société dans laquelle évoluait Jésus, le publicain, “collabo” avec les Romains, était le traître absolu. Quant à la prostituée, elle a toujours représenté, dans l’univers biblique, l’extrême du péché. Nous n’en sommes pas encore complètement sortis, les vulgarités du langage contemporain en attestent. Il y a néanmoins, dans les milieux chrétiens, à cause des paroles de Jésus, des œuvres en direction de prostituées et une exaltation de leur possible changement de vie. Et d’ailleurs, j’ai souvent lu, sur des forums internet chrétiens, des femmes battant leur coulpe quant à leur vie dissolue un temps, et se faisant applaudir par les bien-pensants pour leur “retour à la vertu”.
Jésus avait le don de la formule faite pour secouer les consciences. Ce serait un peu facile pour nous d’en rester à ses paroles sans les replacer dans le contexte d’aujourd’hui. Car enfin, réfléchissons un peu, à une époque où la dépravation sexuelle est la norme. Pourquoi y a-t-il encore des prostituées ? Mais parce qu’il y a des clients ! Et toutes les prostituées sont-elles des femmes qui ont choisi cet état de vie ? Certainement pas ! Les toutes jeunes filles victimes innocentes d’implacables réseaux pourraient en témoigner. Les étudiantes qui franchissent le pas par pauvreté aussi. La prostituée n’existe que parce que des hommes la convoitent. Parce que des hommes sont prêts à payer pour un “service” sexuel. Parce que des hommes l’ont avilie et asservie à leurs convoitises charnelles. Parce que des hommes – en majorité – les proxénètes, qui la maintiennent sous leur coupe, tirent en outre un bénéfice financier du commerce de son corps.
Là est un péché bien plus grave. Vendre et avilir le corps d’autrui.
La prostituée donne le sien de manière vénale, certes. Mais certaines épouses regardées comme vertueuses et qui se sont mariées, sans amour, pour l’argent de leur conjoint, sont-elles quant à elles complètement irréprochables ?
Ce développement pour signaler qu’à mes yeux, ce n’est pas le comble du scandale qu’une prostituée ait accès au Royaume de Dieu. Elle n’a été qu’une marchandise une partie de sa vie. Et Dieu ne la prendrait pas en pitié ?
Jésus n’évoque jamais, dans l’Evangile, certains péchés beaucoup plus extrêmes qui devaient être absolument tabous dans son temps. Et qui sont bien plus souvent le fait de ses frères en humanité que de femmes.
Le viol. L’atteinte à la pureté et à l’innocence d’un enfant. Le harcèlement psychologique au sein du couple. La violence conjugale. La violence sexuelle sur un “conjoint” regardé comme légitime – et que n’a-t-on pas prêché que notre propre corps ne nous appartenait plus dans le mariage ! A titre d’exemple, j’ai lu l’autre jour l’insupportable compte-rendu d’un procès. Un homme était jugé pour avoir causé la mort de sa femme par des violences sexuelles inouïes. Elle a été retrouvée gisant dans son sang. Tout ce qu’il a trouvé à dire, c’est “Je lui ai mal fait l’amour.” Et aussi le déni, bien sûr, de ses véritables actes, dont il y avait pourtant des preuves ADN sur différents objets.
Songeons aux prostituées qui subissent quotidiennement ce que certains hommes, dominés par leurs pulsions perverses, n’osent peut-être pas faire subir à leur compagne. Il est temps de ne plus regarder ces femmes comme les pécheresses ultimes. Jésus, par contre, n’a jamais dit :
“Les violents et les violeurs vous précèderont au Royaume des Cieux”.
Jamais.
2 commentaires
Bonjour Véronique ! Magnifique commentaire qui en remontre à plus d’un auteur d’homélie pas inspiré comme on en rencontre tant dans les églises le dimanche.
Oui, la prostituée (ou le prostitué) se fait voler son corps, profané par ce “client” qui ne veut pas voir que ce corps est surtout le temple de l’âme, au lieu d’être la cible de ses vices.
Oui, le “collabo”, aussi, l’est parfois par faiblesse, ou par solidarité avec des clans et des groupes d’intérêt dont il ne peut ou ne sait se défaire. Oui, la vie fait de nous parfois des “oranges mécaniques” vouées à faire le mal ou à le subir, sans moyen de s’en échapper. Mais la grâce tombe là où elle veut ! Mais la miséricorde est insondables pour ceux dont l’âme est sincère à défaut d’être pure ! Mais l’Esprit souffle où il veut. Parce que Dieu est Dieu, mille sabords ! Bon dimanche.
Merci à vous !
Oui bien sûr :
“Grâce à l’amour du Seigneur, nous ne sommes pas anéantis ; ses tendresses ne s’épuisent pas ; elles se renouvellent chaque matin, – oui, ta fidélité surabonde. Je me dis : « Le Seigneur est mon partage, c’est pourquoi j’espère en lui. » “(Lamentations 3, 22-24)
Le secret de Sa miséricorde appartient au Seigneur, le repentir en rachètera plus d’un. Rien n’est jamais définitivement perdu en Lui. C’est la richesse de la foi chrétienne.
Mais dans ma foi profonde en l’Evangile, je pense aussi que le salut n’est pas acquis de manière “automatique” en déconnnexion totale de notre agir ici-bas. Surtout quand on nuit sciemment et avec constance et gravité à son prochain.