Après 4 mois de carême et de temps pascal, et en reprenant aujourd’hui la lecture suivie de l’évangile de Marc, il importe d’abord de nous rappeler l’objectif poursuivi par Jésus, sa mission telle qu’il l’a reçue de son Père au baptême (1, 14-15) : « Jésus proclamait l’Evangile de Dieu et disait : « Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » Donc après des siècles d’humiliation sous la botte des puissances étrangères, et après l’échec de tous les rois incapables d’instaurer la société voulue par Dieu, Jésus assure que le moment décisif a sonné au cadran de l’histoire : avec lui, c’est Dieu lui-même qui vient inaugurer son règne. Cet événement n’a rien d’un coup de baguette magique qui éliminerait le mal et rendrait à Israël son indépendance. Ce Règne de Dieu n’est ni ethnique ni national ; il ne s’impose pas, il se propose ; il n’est pas déploiement de puissance mais appel à chaque liberté. Pour introduire ce Règne, Jésus PARLE, c’est-à-dire qu’il interpelle les personnes afin qu’elles CROIENT et REPONDENT en changeant de mode d’existence. A chacun de laisser venir ce règne en « se convertissant », en retournant ses conceptions, fussent-elles religieuses, en faisant confiance à l’annonce de Jésus. Le livre de Marc montre comment Jésus a mis en œuvre ce dessein et comment, hélas, il a été incompris. La foule demandait des guérisons et des miracles ; les gens religieux, comme les pharisiens et les prêtres, ne voyaient pas pourquoi ils devaient se convertir ; et les disciples suivaient Jésus dans l’espoir d’avoir les meilleures places dans un royaume de grandeur et de puissance (9, 34 ; 10, 37). Mais alors quel est ce Royaume mystérieux ? Aucun évangile n’en donne une définition claire et précise. Parce que c’est impossible. Comme toutes les réalités profondes, on ne peut en parler qu’en images, en symboles : c’est pourquoi Marc consacre son chapitre 4 au DISCOURS DES PARABOLES. Comme les rabbins de son temps mais avec un génie inégalé, Jésus a eu le don d’inventer de petites histoires pour guider les cœurs vers la compréhension de ce qu’il voulait en obéissance à Dieu. L’évangile du jour nous rapporte les 2 dernières de ces paraboles et une réflexion sur leur but.
LA SEMENCE QUI POUSSE TOUTE SEULE
Jésus disait : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette le grain dans son champ. Nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le grain le permet, on y met la faucille car c’est le temps de la moisson ». Déjà, dans la première parabole, Jésus se comparait à un semeur qui jette les graines (ses paroles) dans les cœurs où elles fructifient selon les bonnes volontés. Ici il affirme sa certitude tranquille : sa Parole peut bien sembler ridicule, inefficace, inutile, mais elle modifiera la vie car elle porte en elle une puissance de vie qui se développera à son rythme et donnera du fruit en son temps. En même temps, il met en garde les disciples contre l’impatience et le zèle intempestif : il ne faut pas désirer des fruits avant le temps comme le paysan sait qu’il est inutile de tirer sur les feuilles. Ce qui est essentiel et toujours urgent, c’est de semer, de faire retentir la Parole, de la rendre compréhensible sans lui enlever sa vigueur, de lui trouver des auditeurs nombreux. Ensuite, à son rythme, elle se développera « on ne sait comment ». Le texte grec dit : elle pousse « automatè », c’est-à-dire de façon « automatique », par la force même qu’elle contient, par la puissance de Vie. Un prophète l’avait dit au nom de Dieu : «Comme la pluie descend et ne retourne pas là-haut sans avoir donné semence et nourriture, ainsi se comporte MA PAROLE : elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’ai envoyée » (Isaïe 55, 10) Et à un moment que personne ne connaît ni ne peut fixer, Dieu interviendra pour la moisson, image du jugement (cf. le prophète Joël 4, 13). Le pape Jean XXIII racontait : lorsque je fus élu sur le siège de Rome, la conscience de mes responsabilités m’écrasait tellement que je n’arrivais plus à dormir. Une nuit il me sembla entendre une voix : « Dis, Jean, qui dirige l’Eglise, toi ou moi ? – Je répondis : « Oh Toi seul, Seigneur – Eh bien alors, dit la Voix : Laisse-moi faire et dors tranquille ».
LE ROYAUME : DEBUTS INSIGNIFIANTS, EXTENSION PLANETAIRE
« A quoi pouvons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole allons-nous le représenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences du monde. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre ». Quel a été le début de ce règne de Dieu sur terre ? Un pauvre prédicateur juif circulait dans un espace de quelques km2 pendant 2 ou 3 ans, abandonné par ses disciples et condamné (comme tant d’inconnus) à la mort ignominieuse de la croix : événement insignifiant dans l’Empire romain. Or aujourd’hui qu’en est-il advenu ??!!…. Combien d’êtres humains en recherche de sens ou en état de perdition sont venus se réfugier près du Christ, se sont désaltérés à la source d’Evangile, ont accepté de donner leur vie pour ce Nazaréen ? Début insignifiant et extension universelle : dans tous les peuples, sur tous les continents, le baptême de Jésus enfante des disciples, la croix est vénérée, la Bonne Nouvelle est lue, étudiée, proclamée, accueillie avec allégresse ! Jadis François d’Assise, Dominique de Guzman, Ignace de Loyola…aujourd’hui sœur Térésa de Calcutta ou Andréa Riccardi : combien de jeunes, sans attendre l’appui des Eminences, sans titres, sans moyens, se sont élancés sur de nouveaux chemins, ont ouvert des champs inédits à l’Evangile et connaissent une postérité éclatante ! Lorsque l’on jette le grain de l’Evangile et l’amour de Jésus en pleine terre humaine, au sein profond de l’humanité, ils subissent beaucoup d’échecs certes mais toujours ils fructifient, guérissent les plaies, dilatent les espérances, allument le feu de la charité. Sans arrêt, l’Evangile bout d’impatience à la porte de nouveaux peuples, prêt à s’élancer dans d’immenses territoires et des gens pleurent de joie en découvrant un message qui les bouleverse. Trop souvent, nous aimons rejoindre la foule, participer à un pèlerinage de masse, nous réconforter dans un Mouvement « où il y a du monde ». Nous n’osons pas prendre des initiatives, nous élancer, seuls, en pionniers, inventer des façons inouïes de propager la Bonne Nouvelle, lancer une idée petite comme une graine mais dans l’espérance que -si Dieu le veut et quand il le voudra- elle portera du fruit. Les branches de la Croix glorieuse n’ont pas fini d’étendre leurs ramifications internationales.
POURQUOI DES PARABOLES ?
« Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole dans la mesure où ils étaient capables de la comprendre. Il ne leur disait rien sans employer de paraboles mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples ». Donc l’usage de paraboles était un mode courant de l’enseignement de Jésus (il y en a beaucoup d’autres dans l’évangile de Luc) mais attention de se méprendre : elles ne sont ni des historiettes pour enfants ni des rébus dont le secret serait réservé à un petit groupe d’initiés. Pas d’ésotérisme dans l’Evangile. Ces comparaisons posent certes question et l’auditoire ne saisit pas leur signification sur le champ de sorte qu’elles constituent un appel à se rapprocher de Jésus et à lui demander la lumière. Ainsi la parabole provoque la recherche, le questionnement : elle n’est pas une connaissance à emmagasiner mais un déclic pour poursuivre sa conversion personnelle. L’enseignement renvoie à l’Enseignant qui, au fond, est le sujet essentiel, le secret même du Royaume de Dieu en train de s‘approcher des hommes.
Prédicateur: Raphaël Devillers
Source : http://www.precheurs.be/index.php?option=com_predication&view=homelie&homid=1143&jour=93&Itemid=717
Image : Le semeur au soleil couchant Vincent Van Gogh