Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus sur la montagne, il leur disait :
« Ce qui est sacré, ne le donnez pas aux chiens ; vos perles, ne les jetez pas aux cochons, pour éviter qu’ils les piétinent et puis se retournent pour vous déchirer. Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi, voilà ce que dit toute l’Écriture : la Loi et les Prophètes. Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s’y engagent. Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la vie ; et ils sont peu nombreux, ceux qui le trouvent. »
Matthieu 7, 6. 12 – 14
On aura beau retourner les Evangiles dans tous les sens, on ne verra pas Jésus nous dire que marcher à sa suite est un plaisante promenade que tout un chacun entreprend aisément. Une certaine théologie moderne voudrait nous en convaincre : le Christ est mort pour nos péchés, nous sommes rachetés par la grâce du baptême, le pardon nous est acquis, nous marchons au vent de l’Esprit Saint, directement en route pour le Royaume de Dieu. Même la chanson populaire a repris cette croyance rassurante : “On ira tous au paradis”. Ce refrain est installé bien davantage au creux des oreilles françaises que les paroles de Jésus que nous relisons aujourd’hui : “Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s’y engagent. Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la vie ; et ils sont peu nombreux, ceux qui le trouvent.”
Je crois que c’est une grande erreur que de négliger ces paroles. J’ai beau être une catholique fidèle à mon église d’origine, je trouve qu’il y a de quoi s’inquiéter de la relative insouciance des baptisés, dont on ne voit la plupart se souvenir du Christ que pour les occasions de sacrements donnant lieu à une fête de famille, et plus tristement pour les funérailles, pour lesquelles les églises sont pleines comme jamais.
Il y a quelques années, il était à la mode d’y chanter :
“Ajoute un couvert, Seigneur, à ta table,
Tu auras aujourd’hui un convive de plus.”
Et moi je me disais : après tout, en sommes-nous sûrs ? Qui pourrait prétendre que celui dont on doit se séparer est passé par la porte étroite ? Qu’est-ce qui nous permet de chanter avec assurance que par son seul baptême et ses funérailles religieuses, il a emprunté le chemin resserré qui conduit à la vie éternelle ?
Loin de moi l’idée d’insinuer que seuls les pratiquants réguliers ont droit au salut. La question n’est pas là. Parmi mes amis, je compte une majorité de non pratiquants, agnostiques voire athées. Mais si je me suis attachée à eux et que je les aime, c’est que je les vois, au jour le jour, “faire pour les autres ce qu’ils voudraient qu’on fasse pour eux-mêmes”. Oh, on n’a pas besoin d’avoir fondé une oeuvre humanitaire ! Une simple maman qui se met au service de ses enfants jour après jour, une aide-soignante qui fait chaque toilette avec le respect du patient, une femme de ménage qui nous rend vivables nos lieux de travail ou les lieux publics, l’assistante sociale qui va passer maints coups de fil jusqu’à trouver une solution pour une personne en détresse, et toutes ces personnes sur lesquelles nous savons pouvoir compter quand nous avons besoin d’un service, d’une écoute, d’une épaule où pleurer…
Si de tels gestes sont faits avec amour, dans le désintéressement, on est déjà en marche vers la sainteté… Prendre conscience qu’on n’en trouve pas la force qu’en soi, mais dans le Christ, c’est franchir une étape supplémentaire dans l’abandon à sa volonté.
Elles ne sont pas si nombreuses, les âmes capables de reconnaître que tout le bien qui est en elles vient de Dieu et non de leur petite construction psychologique personnelle. A ces âmes-là, le Christ dévoile toute l’étroitesse de son chemin. Peut-être se permet-il même d’y laisser saillir de bien vilaines pierres, pour que ces disciples désireux de le suivre ne puissent plus du tout lâcher sa main, faute de quoi ils tomberaient et s’écorcheraient de partout. Mais Jésus est bon pour qui le suit vraiment, et dans son sillage de lumière, tout escarpement devient un défi toujours relevable. La douceur de sa voix est là, qui accompagne et encourage. Chacune de ses paroles devient le plus sûr des chemins.
Ô Jésus, que ceux qui te connaissent sachent guider d’autres brebis par tes chemins étroits mais baignés de lumière !