Ceux qui méditent le mal se disent en eux-mêmes : « Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie, il s’oppose à nos entreprises, il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu, et nous accuse d’infidélités à notre éducation.
Voyons si ses paroles sont vraies, regardons comment il en sortira.
Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera, et l’arrachera aux mains de ses adversaires.
Soumettons-le à des outrages et à des tourments ; nous saurons ce que vaut sa douceur, nous éprouverons sa patience.
Condamnons-le à une mort infâme, puisque, dit-il, quelqu’un interviendra pour lui. »
Sagesse 2,12.17-20
Textes liturgiques©AELF
Dans cet extrait de la Sagesse, livre sapiential que j’aime entre tous, nous voyons bien sûr la figure du Christ Jésus qui a si bien incarné ces quelques lignes.
Cependant, je ne suivrai pas aveuglément l’interprétation catholique quand elle affirme que Jésus est “la personnification de la Sagesse.” C’est lui ajouter encore une prérogative, Lui qui est déjà le Verbe de Dieu, et authentiquement son Fils, ce qui n’est pas peu.
La Sagesse qui court par tout ce Livre et par toute la Bible est évidemment une figure féminine. Salomon la choisit pour épouse, l’allégorie est parlante. De même qu’en grec cohabitent le Logos et la Sophia, on peut considérer dans un face à face le Verbe et la Sagesse, ou encore le Fils et la Ruah. N’amputons donc pas la Sagesse décrite par tout ce Livre de sa féminité.
Comme le Verbe de Dieu, elle souffre persécution par les impies, et parfois plus encore par les faux pieux. N’oublions pas que ce sont les dignitaires religieux du temps de Jésus qui ont fomenté sa mise à mort, davantage que les impies romains qui l’ont exécuté.
Ainsi de la Sagesse. Sa “mort infâme” n’est pas forcément une mort du corps exposé sur la place publique comme le fut celui de Notre Seigneur crucifié. Il existe des façons de mettre à mort l’âme féminine plus cachées et plus insidieuses. Commencer par professer que la Sagesse, c’est le Fils de Dieu, et lui donner de ce fait des attributs masculins. Nommer encore l’Esprit Saint, qui est Personne au même titre que le Fils, au masculin. Fabriquer ainsi une conception toute masculine de la Trinité sainte. Que personne n’en soit étonné : les scribes et les Docteurs, quelle que soit leur appartenance religieuse, ont toujours tiré la couverture à eux-mêmes, qui cultivaient et cultivent encore bien trop l’entre-soi masculin.
Après avoir ainsi nié la féminité de la Sagesse en lui attribuant soit un corps masculin, soit pas de corps du tout, on va s’employer à insinuer que sa sagesse est folie, car on est homme, et que oui, la sagesse de Dieu est folie aux yeux des hommes. Depuis la nuit des temps, les hommes prétextent sa folie quand ils veulent se débarrasser d’une femme qui pense, qui parle ou qui écrit. C’est même une pratique relativement courante, dans les divorces ou les répudiations, que de faire passer une épouse devenue indésirable comme instable psychiquement pour récupérer par exemple la garde des enfants.
La Sagesse ne se persécute pas à coups de clous dans les mains et les pieds, mais bien plus insidieusement. La calomnier et se moquer d’elle dans les rues et les dîners. Tourner sa volonté de ne jamais séduire en incapacité à être aimée. Est-elle célibataire, le quolibet est tout trouvé. Est-elle honnête jusqu’à l’extrême, elle sera dite idiote. Est-elle besogneuse jusqu’à l’épuisement, elle sera mise en doute dans sa pertinence professionnelle. Ses yeux sont-ils trop purs pour voir le mal, elle sera moquée comme naïve. Est-elle capable de pardonner, on la soupçonnera d’intelligence avec le mal.
Et ainsi donc, ce n’est pas le sang de la sagesse que l’on fait couler pour éprouver sa patience, mais bien ses larmes secrètes, ce n’est pas sa chair que l’on maltraite, mais bien son esprit objet de toutes sortes de harcèlements psychiques et moraux, ce n’est pas son corps que l’on cherche à faire mourir, mais bien son âme, à petit feu.
Mais Dieu est là qui veille avec un amour dévorant et jaloux sur elle. Et quand sonnera l’heure de Sa très grande justice, sa bien-aimée Sagesse, Ruah, Sophia brillera comme un soleil au bras du Verbe, Logos, Fils rayonnant de Gloire et plus beau que Salomon lui-même.
Image : V.BELIAEV : Mosaïques à l’intérieur de la Cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé de Saint-Pétersbourg