En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ;
celui qui n’est pas contre nous est pour nous. »
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.
Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux,
là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
Marc 9,38-43.45.47-48
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
On pourrait ouvrir les paris en ce dimanche où l’on médite en Eglise cet évangile qui, je le sais, incommode beaucoup de catholiques contemporains. D’aucuns rêveraient même d’en amputer les Ecritures. Et cependant, toute parole qui sort de la bouche du Christ Jésus est vérité, alors ne le soupçonnons pas d’avoir dit ceci et pas cela. Je pose la question : combien de fidèles ont-ils entendu prêcher, aujourd’hui, au sujet de la géhenne ? Jésus emploie pourtant ici le mot trois fois. Et la décrit sommairement : là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
La géhenne est clairement, dans sa bouche, l’antithèse de la vie éternelle auprès de Lui.
La théologie contemporaine tend à gommer cette réalité de notre paysage spirituel. Combien de fois n’a-t-on pas entendu : “Si l’enfer existe, il est vide.” Je concède qu’il est peut-être vide dans ces temps où nous sommes et où le dernier avènement du Christ Roi n’a pas encore eu lieu. Le jugement des vivants et des morts est à venir, et l’on peut difficilement concevoir que des âmes se soient déjà condamnées à séjourner en un lieu qui n’existe peut-être pas encore. Je préfère toujours parler de sheol pour cet espace spirituel d’après la mort qu’endurent ceux qui n’ont pas eu part, faute d’avoir vécu – consciemment ou non – selon les commandements de l’Evangile au long de leur cheminement terrestre, aux cieux de la première résurrection, là où les rachetés intercèdent sans relâche pour nous aux côtés des bienheureux et de tous les saints. On rit souvent du purgatoire comme d’une idée dépassée. Je ne suis pas du tout de cet avis. Les âmes assez pures pour regarder le Christ dans les yeux au moment de leur passage par la mort ne sont pas si nombreuses. Il n’est qu’à méditer les mots de l’Epître de saint Jacques lus aussi aujourd’hui pour comprendre que les richesses, par exemple, peuvent ravager une âme au point de lui fermer pour un bon moment une réalité où tout est don et gratuité. (Jacques 5, 1-6)
Je peux passer pour une rabat-joie et je l’assume. Si le Christ avait dit au long de sa vie de prédication que le chemin vers le bonheur éternel est large et que la voie vers la géhenne est étroite, je me tairais. Mais il a dit tout l’inverse, et il serait bon de s’en souvenir (Matthieu 7, 13-14).
Alors je vais vous dire quelle est ma foi : Jésus est venu il y a 2000 ans pour nous montrer, pour nous faire vivre la Miséricorde infinie du Père. Il a tellement pris sur lui le péché du monde qu’il en a versé jusqu’à la dernière goutte de son sang sur le bois du supplice – injustement, mais avec abnégation. Et depuis ces vingt siècles, nous pouvons puiser inlassablement à la miséricorde du Père, pourvu que nous prenions conscience de notre péché, dans une grande contrition et une volonté de conversion.
Quand le Christ revient, c’est dans sa Gloire et non plus crucifié, lui qui est ressuscité le troisième jour. Et quand il revient, c’est cette fois pour nous montrer l’autre face de Dieu : sa Justice. C’est pour nous faire sortir de cette Egypte qu’est devenue le monde pour une grande majorité de personnes, à commencer par tous ceux qui souffrent injustice, persécution, joug, pauvreté – les femmes sont dans ces catégories en première ligne. Le Christ Roi revient, avec l’Esprit de Vérité, pour ouvrir à tous ceux-là, baptisés ou non, un pont de lumière qui les mènera à la terre nouvelle sous les cieux nouveaux d’éternelle joie.
Restent tous ceux qui ont commis leur vie durant le mal et l’iniquité : les nantis qui n’ont pas partagé, ceux qui ont exercé pouvoir et domination avec cynisme et indifférence à la souffrance de leur prochain, ceux qui ont exploité le faible et le pauvre, ceux qui ont abusé du petit, ceux qui ont soumis les femmes à leur orgueilleuse domination. Ceux-là parviendront-ils à se prosterner devant le Roi de Gloire sous le regard clairvoyant des sauvé(e)s ? Parviendront-ils à délaisser toutes les richesses de la terre et leurs illusions de pouvoir pour entrer dans un Royaume où les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers ?
Dans leur orgueil démesuré, je crois que beaucoup n’y parviendront pas. Ils se cramponneront à leur terre de possession et de jouissance. Et quand le cortège des bienheureux sera sorti à la suite du Christ leur Roi, les damnés resteront seuls dans cette création première vouée à la perdition, au feu des armes et des technologies meurtrières, aux vers qui dévoreront tout en l’absence de femmes de ménage, à la famine en l’absence de ceux qui ont sué leur vie pour nourrir la planète… Leur pouvoir deviendra dérisoire, et leur jouissance, un souvenir amer, car les enfants de leur chair auront tous disparu de là, de même que les femmes qu’ils entendaient maintenir sous leur domination. Là sera la véritable géhenne. Là seront les pleurs et les grincements de dents.
Image : Pèlerinage à la fontaine de San Isidro Francisco de Goya