En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »
Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »
Luc 11,27-28
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Il y a eu, au fil des siècles de l’Eglise, une certaine distorsion de cet extrait si important de l’Evangile. On n’en finit plus de prêcher sur l’écoute de Marie à l’Annonciation et sur le fait qu’elle ait médité les paroles de son Fils tout au long de son rôle éducatif à ses côtés. C’est tant et tant développé dans toutes les homélies catholiques que je n’ajouterai rien de plus à ce sujet-là.
« Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »
Dans cette béatitude que Jésus ajoute à celles du Sermon sur la montagne, on sent toute l’humilité du Verbe de Dieu qui ne veut pas attirer les regards sur sa personne physique, mais les élargir jusqu’à Celui dont il vit et enseigne la Parole : Dieu son Père. Jésus décentre le discours de cette femme de sa propre personne pour l’inciter à écouter, méditer et garder les enseignements qu’il ne tient pas de sa chair, mais de sa filiation divine. Beaucoup de prédicateurs auraient à s’en inspirer, eux qui apprécient les regards tournés vers leurs personnes, les compliments voire les flatteries, eux qui prétendent parfois que lorsqu’ils prêchent, ce n’est plus leur propre parole que les fidèles entendent, mais la voix-même de l’Esprit Saint. J’ai toujours, pour ma part, trouvé pareille prétention fort orgueilleuse, car un sacrement de l’Ordre ou une mission de pasteur ne confèrent pas une infaillibilité en matière de prédication. Je peux même ajouter qu’après dix-huit mois dans une paroisse sans curé fixe, j’ai entendu et écouté attentivement toutes sortes d’homélies, et qu’à chaque fois, j’ai pu discerner dans ces méditations la personnalité profonde des très nombreux prêtres qui se sont succédé dimanche après dimanche au micro de nos églises… davantage, parfois, que le souffle de l’Esprit Saint.
De là, je voudrais poursuivre en exprimant un désaccord avec l’Eglise catholique de mon baptême, qui dit et répète qu’on ne doit pas aborder les Ecritures seul, mais dans le cadre ecclésial, guidé par une personne consacrée ou ordonnée et dans le respect de la Tradition. Combien de fois cela m’a-t-il été seriné ! Il y a vingt ans, quand j’étais “recommançante” et que j’avais un appétit énorme pour la Bible, j’ai accepté de l’entendre. J’ai participé à des soirées bibliques en paroisse, qui étaient fort riches du fait des connaissances approfondies de ce prêtre-là en culture et tradition juives. Je lui en suis encore reconnaissante. Mais forte de ce bagage et de quarante ans déjà de pratique régulière, moi qui n’ai jamais rêvassé à la messe mais réfléchi et médité chaque homélie entendue – cantonnée que je suis à ma place d’écoutante à l’église du fait de ma féminité – et sans compter en outre toutes les homélies et prédications que je lis sur le net, je crois avoir fait le tour de ce qu’un prêtre catholique a le droit de dire sur un évangile donné. Ils auront beau prétendre prêcher au nom de l’Esprit Saint, le Magistère est là qui bride leur pensée et leur discours.
Et donc, aujourd’hui, je n’accepte plus que de petits prêtres à peine ordonnés me renvoient vers la Tradition et le Magistère quand ma propre méditation sur les Ecritures détonne de la doctrine officielle.
La Parole de Dieu, je l’écoute, profondément, d’une manière que personne ne peut ni comprendre, ni soupçonner – elle m’appartient et elle appartient au Seigneur – et je la garde au plus profond de mes entrailles et de mon âme depuis que je suis en âge de la comprendre – cela fait bien longtemps ! Et garder cette Parole, surtout quand on est femme, c’est parfois s’insurger contre la Tradition de l’Eglise, et, à l’image du Christ Jésus, s’attirer les foudres des gardiens de la doctrine.
Imaginons un instant que Marie, troublée par les paroles de l’ange Gabriel, ait couru vers un rabbin pour tout lui raconter : que n’aurait-elle pas entendu !
“Ma petite fille, gardez-vous de ces imaginations, observez scrupuleusement la Loi de Moïse et ne contristez pas votre fiancé !”
Et le Verbe de Dieu, jamais, ne se serait incarné.
« Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »
Source image de sainte Thérèse d’Avila : https://paroissestjulienlacalmette.wordpress.com/2017/10/14/manuscrit-autobiographique-de-sainte-therese-davila-carmelite-reformatrice-docteur-de-leglise-1512-1582/