En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager :
« Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes.
Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.”
Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne,
comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” »
Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ?
Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Luc 18,1-8
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
J’aime particulièrement cet extrait d’évangile car il nous parle de la justice de Dieu. En Eglise, ce n’est pas si souvent. On développe tellement la théologie de la miséricorde de Dieu qu’il ne reste pratiquement plus rien pour sa justice. Et pourtant, c’est l’autre face de son Etre parfait.
La justice de Dieu ! Comme je l’espère, et depuis si longtemps ! Non seulement pour moi, mais pour toutes les victimes de la méchanceté voire de la perversion des créatures. On nous rebat les oreilles depuis des décennies de la miséricorde de Dieu, mais je crois qu’il est vraiment temps de prendre conscience qu’il y a aussi, en Lui, et surtout en ces temps de la fin, une justice, une admirable justice.
Le juge inique de la parabole ressemble à bien des juges, à bien des censeurs, à bien des penseurs et même à bien des responsables jusqu’au cœur de l’Eglise. La veuve spoliée aura beau faire entendre sa plainte, elle sera ignorée et sa tragédie, au mieux, minimisée :
“Observez-vous d’abord vous-même, êtes-vous donc juste ? N’êtes vous pas d’abord une pécheresse comme toutes les autres femmes ? Allons madame, il faut par-don-ner !”
Le mot est lâché. On n’est jamais victime, on est toujours coupable d’au moins quelque chose, et il faut passer un grand coup d’éponge, toujours, au prétexte que Jésus nous l’aurait enseigné. Pardonner jusqu’à 70 fois 7 fois. Oui. Cela fait exactement 490 fois. Je crois bien que chaque victime honnête de l’iniquité humaine a déjà, dans sa vie, pardonné bien plus que cela…
Alors aujourd’hui, moi aussi je lance mon cri.
“Rends-moi justice contre mon adversaire !”
Oh, mon adversaire n’est pas une simple créature. Non. Je voudrais que Dieu me rende justice contre l’Adversaire, celui qui ne mérite même pas sa majuscule.
Celui qui s’introduit dans les âmes pour leur sussurer :
“N’y attache pas d’importance, cette femme-là est folle, un peu dérangée, certainement frustrée, pas la peine de perdre ton temps avec elle.”
Celui qui détourne les Ecritures pour leur faire dire ce qu’il a envie que l’humain comprenne. Depuis les commencements, il excelle dans cet art.
Celui qui fait apparaître de fausses madones et conduit les crédules dans une idolâtrie certaine, tout en leur faisant croire qu’ils se sanctifient mieux que tout le monde.
Celui qui répand et valorise les fausses révélations mystiques, les romans fleuves qui défigurent le Christ jusqu’à détourner les âmes de la concision parfaitement justifiée des vrais Evangiles.
Celui, enfin, qui s’est insinué dans la doctrine catholique, pour qu’elle s’érige orgueilleusement en vérité absolue et définitive, au risque de priver l’Eglise de toutes les intelligences qui discernent ses limites et ses incohérences.
Celui qui tire les ficelles de tant de marionnettes qui n’ont que le dogme et la tradition à la bouche.
Je suis comme la veuve spoliée. Spoliée de la vérité du Christ.
“Seigneur, rends-moi justice contre l’Adversaire !”
Image : Bernadette Lopez Evangile et peinture. Détail. Luc 18, 1-8