“Tenez-vous sur vos gardes,
de crainte que votre cœur ne s’alourdisse
dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie,
et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste
comme un filet ;
il s’abattra, en effet,
sur tous les habitants de la terre entière.
Restez éveillés et priez en tout temps :
ainsi vous aurez la force
d’échapper à tout ce qui doit arriver,
et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme.”
Luc 21, 34-36
On dirait bien que cet extrait de l’évangile du 1er dimanche de l’Avent n’a rien à voir avec les préparatifs de la fête de Noël. Et loin de m’en désoler ou d’en être incommodée, je m’en réjouis.
L’Avent, cette période hivernale et liturgique que je n’aime guère. Chaque année, le même dépit me saisit. La noirceur est interminable, le temps est souvent bien gris, les tâches professionnelles s’accumulent. Et c’est un peu agacée que je vois mon entourage et le monde occidental se jeter tête baissée dans la frénésie des fêtes de fin d’année. Les spams et autres publicités qui déclinent Noël à tous les profits nous submergent. Noël devient une ripaille et une course aux cadeaux, le Nouvel An une occasion de beuverie à ne pas manquer. Exactement tout ce que cet extrait d’évangile dénonce. Et le plus grand nombre de nos contemporains sombre dedans.
Je n’ai pas l’esprit chagrin, mais je ne parviens pas à m’impatienter pour cette fête-là. Autant, chaque année, je vis le Carême avec foi et conviction, autant l’Avent me désarçonne. Je vois un sens profond à me préparer à faire mémoire de la résurrection du Christ Jésus, l’événement fondateur de la foi chrétienne. Je n’en vois pas à simuler l’attente d’un petit bébé qui est déjà né il y a vingt siècles. D’autant plus que cette fête liturgique de Noël est l’occasion d’entendre quelques aberrations théologiques : “Dieu fait homme”. Suivra de peu la fête de “Marie Mère de Dieu”. Je prends mes distances avec ces affirmations. Dieu est le Dieu Trinité, au sein de laquelle le Père n’est ni masculin, ni féminin, préexiste à tout et n’est jamais descendu du ciel pour s’incarner. Jésus ne priait pas un Ciel vide : le Père, l’Eternel, le Dieu d’Israël y demeurait et n’y était amputé de rien. Il a donné un Fils à Marie. Un Fils. Incarné homme. Oui. Mais qui n’est que la deuxième personne de la Trinité sainte, sans être Dieu à lui tout seul. On a bien trop vite fait d’emprunter ce raccourci pour masculiniser Dieu. Or Lui n’a pas de genre : “Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa, il les créa homme et femme” (Genèse 1,27). L’Ecriture est tout à fait claire : il y a Dieu, puis un homme et une femme qui sont, dans leur complémentarité, à son image. Comme le sont son Fils et la Ruah, interdépendants et engendrés du Père maternel.
C’est pour cette raison que je récuse le vocable “Mère de Dieu” pour Marie et que le chapelet n’est pas, et de loin, ma forme de prière.
Je songeais l’autre jour à une comparaison : existe-t-il une épouse qui passe son temps à se pâmer devant des images de son époux bébé dans les bras de sa belle-mère ? Je choque ? Eh bien, je l’assume. Le Christ Jésus est mort et ressuscité à environ 33 ans, homme adulte, et je ne comprends pas pourquoi on s’appesantit tant sur son image de nourrisson dans les bras de sa mère. Il a dépassé ce stade depuis bien longtemps. Si nous sommes appelés à nous tenir debout devant le Fils de l’homme, ce n’est pas devant un nourrisson vagissant, mais devant notre Roi de gloire. Voilà à quoi nous devrions nous préparer pendant le temps liturgique de l’Avent, avec fidélité aux Ecritures davantage qu’aux traditions populaires. On a vu l’Eglise s’indigner de la question des crèches dans les lieux publics en France. Moi je m’indigne que l’Eglise de mon baptême mette autant d’énergie à célébrer un bébé de plâtre qui ne sait pas encore parler, entre un bœuf et un âne, une mère-santon qui ne dit surtout pas le moindre mot, un Joseph qui n’aura jamais le droit de consommer leur mariage après cette naissance, et omette d’écouter ce que l’Esprit a à dire aux églises dans l’aujourd’hui de Dieu.
Il ne faudra pas s’étonner alors qu’un jour de ténèbres précédant la vérité ultime sur toutes choses s’abatte à un moment ou à un autre sur tous les habitants de la terre entière… qui ne s’y préparent absolument pas.
Image : Jérôme Bosch Le jugement dernier XVe Vienne